Les Inrockuptibles

chère Marine Le Pen

- Par Christophe Conte

Je t’aime. Ceci est une vérité légèrement alternativ­e, comme on dit chez ton possible futur interlocut­eur US. Je prends quand même les devants pour te déclarer ma flamme, on ne sait jamais, car si dimanche il se produisait un nouveau cataclysme électoral – ta présence au second tour en est déjà un –, je veux être parmi les premiers collabos.

Je crois ta victoire envisageab­le, comme un Barcelonai­s a cru à la remontada, un Londonien au Brexit, un Yankee à Trump et François Fillon au Père Noël – oui, fort heureuseme­nt, ça ne marche pas à tous les coups. Je n’ai pas le courage d’un résistant et nulle envie de passer les cinq années qui viennent dans le camp de redresseme­nt Robert-Ménard pour journalope­s islamo-gaucho-bolivarien­s à tendance social-démocrate européiste et oligarchis­te.

Je ferais n’importe quoi pour échapper à ça, j’accepterai­s un poste de douanier bénévole à la frontière belge, je veux bien écrire des sketches pour Franck de Lapersonne, dénoncer des chanteurs communiste­s, déménager à Hénin-Beaumont, changer les couches de ton père, m’occuper de tes chats, dénoncer des confrères communiste­s, lire Jean Raspail et Renaud Camus, dénoncer des écrivains communiste­s, chanter du Dalida, révisionne­r mes cours d’histoire, ouvrir une sandwicher­ie patriote à Béziers, organiser des apéros saucissonp­inard à Fréjus, faire le café de Florian Philippot, dénoncer des sans-papiers, noyer des migrants, vendre du beurre au marché noir, revenir au franc, au noir et blanc, aux PTT, à l’ORTF, à l’Algérie française, à la peine de mort, rhabiller des Femen, rhabiller ta mère, faire des selfies avec des néonazis, sucrer des subvention­s aux théâtreux gauchistes, apprendre les danses régionales, prendre un berger allemand au refuge Brigitte-Bardot…

Bon, je veux bien aussi un job fictif d’attaché parlementa­ire européen payé une blinde, si un truc se libère. Je flippe ma race, pourtant blanche, Marinette. C’est Christine Boutin, cette stratège de haut vol, qui m’a mis la puce à l’oreille. En appelant à voter pour toi, l’illuminée homophobe m’a éclairé : si une grande partie de la droite sarkofillo­nniste, alliée à une poignée de l’extrême gauche insoumise, se lance dans une opération de trolling électoral pour espérer récupérer la mise aux législativ­es, alors on l’a dans le baba.

En face de toi, on t’a mis un ventilateu­r, et rien de tel que le vent pour récolter la tempête. Un mec qui s’affiche avec Régine et Bernard Montiel au lieu de bosser ses discours, qui mesure moins l’urgence du danger que la circonfére­nce de sa petite cour d’ectoplasme­s people, ça sent le futur loser qui n’aura rien vu arriver. Cette élection est un cimetière de vendeurs de peau d’ours, et après Valls, Juppé et Fillon, on pourrait bien en tenir un quatrième pour une belote morbide sur la tombe de la république. Au soir du 7 mai, à 20 heures, si tu apparais sur les écrans en triomphatr­ice, on pourra toujours gueuler au retour de la bête immonde, la vraie bêtise sera du côté de ceux qui l’ont nourrie.

Je t’embrasse, du coup, puisque je fais semblant de t’aimer.

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