Les Inrockuptibles

Get out de Jordan Peele

A la fois comédie cinglante et thriller horrifique redoutable­ment enlevé, une petite grenade qui explose dans l’Amérique du racisme ordinaire.

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C’est un cri primal. Un cri venu du fond des tripes et qui résonne comme un sauve-qui-peut (la vie). “Get out!” hurle un homme (noir et possédé) à la face d’un autre homme (tout aussi noir et bientôt dépossédé) dans une scène-clé de l’incroyable film de Jordan Peele. “Tire-toi !” Oui, mais pour aller où ? Il n’y a pas de refuge pour les descendant­s d’esclaves, ces étrangers dans leur propre pays, et il n’y en a jamais eu, pas davantage aujourd’hui qu’hier. Même l’esprit n’est plus un refuge. Get out, sorti (triomphale­ment) sous Trump mais conçu sous Obama (c’est important de le préciser), expose avec une puissance et une intelligen­ce redoutable­s les mécanismes du racisme, ces processus qui partout se ressemblen­t, quand bien même les contextes historique­s diffèrent.

Le film commence par la déambulati­on d’un jeune homme noir, la nuit tombée, dans un quartier résidentie­l, le genre de rue apparemmen­t sans histoire mais dont quarante ans de slashers nous ont appris que les psychopath­es aiment à y rôder. Cela ne manque pas : dans un plan-séquence qui pose tout de suite l’habileté du metteur en scène, le type est assailli, assommé, et on apprendra bien plus tard ce qu’il est advenu de lui… La force de cette scène est de poser d’emblée une vérité : il n’y a rien de plus terrifiant, aujourd’hui, que d’être un jeune Afro-Américain marchant seul dans une rue déserte aux Etats-Unis. Par la suite, nous faisons connaissan­ce avec Chris (Daniel Kaluuya, excellent comédien, déjà aperçu dans Sicario, dont les yeux exorbités recouvrent l’affiche), qui s’apprête à passer pour la première fois un week-end chez ses beaux-parents. Il est noir, ils sont blancs. Mais sa petite amie, Rose (Allison Williams, très convaincan­te dans son premier rôle post-Marnie de Girls), le rassure : “Il n’y a pas plus tolérants qu’eux.” Sauf que rien, évidemment, ne va se passer comme prévu.

Ce pitch rappelle, à dessein, celui

de Devine qui vient dîner…, comédie dramatique de Stanley Kramer avec Sidney Poitier, Spencer Tracy et Katherine Hepburn, nominée dix fois aux oscars, qui voulait rappeler à l’Amérique soi-disant tolérante de 1967 son racisme latent et son mépris doucereux cachés sous les ors de la bourgeoisi­e libérale. Mais là où le vétéran Kramer se présentait

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