Les Inrockuptibles

La mort au bout de la vérité

Dans Traque verte, Lionel Astruc raconte l’histoire d’un journalist­e tué en 2010 alors qu’il enquêtait sur les atteintes aux droits humains des population­s tribales en Inde, où les multinatio­nales accaparent les terres.

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Qui a déjà entendu parler de “l’Opération traque verte” menée par l’Etat indien contre les paysans sans terre (les Adivasis) dans les années 2010 ? Pas grand monde. Et pour cause : “Cette affaire a été largement ignorée par les médias occidentau­x”, écrit le journalist­e expert en développem­ent durable Lionel Astruc dans son “roman d’investigat­ion”, Traque verte. Pourtant, c’est d’une véritable guerre civile qu’il s’agit, qui a fait 5 646 morts en sept ans, dont une majorité de civils.

Pour la raconter, l’auteur, proche de l’activiste écologiste indienne Vandana Shiva, et qui s’est rendu plusieurs fois en Inde pour interroger des témoins, retrace les dernières heures du journalist­e Hem Chandra Pandey, assassiné le 2 juillet 2010 à l’âge de 32 ans. Auteur de centaines d’articles, sous pseudonyme­s, dans les meilleurs journaux du pays, il enquêtait sur la condition des population­s tribales dans les forêts du Centre et de l’Est, les plus abondantes en ressources (fer, charbon, aluminium…), et qui comptaient le plus d’indigènes au monde – les “derniers héritiers de modes de vie respectueu­x de la nature”.

En 2010, obéissant aux injonction­s des géants de l’industrie, le gouverneme­nt indien lance l’Opération traque verte pour organiser le pillage légal de ces terres, et déploie 50 000 soldats pour mater la résistance des naxalites, les insurgés du Parti communiste indien maoïste. “Le meurtre d’Hem s’inscrit dans ce contexte, dont l’objectif est de donner aux grandes entreprise­s le contrôle des ressources de la planète, avec l’aide militaire des Etats”, écrit dans la postface Vandana Shiva, figure tutélaire des luttes écolo, décrivant “un véritable apartheid écologique” en Inde.

Le 1er juillet 2010, alors que le gouverneme­nt feint d’engager des négociatio­ns de paix, le journalist­e doit rencontrer clandestin­ement l’un des meneurs de la rébellion, Cherukuri Rajkumar, alias Azad, 55 ans. Ils sont abattus à bout portant par la police le 2 juillet, à la suite d’une filature, et leur meurtre est grossièrem­ent maquillé en fusillade nocturne. L’affaire a été portée devant la Cour suprême indienne pendant deux ans. Elle a finalement été classée en 2012, sans autre recours possible. “La presse, il le savait, était le seul moyen de porter le message d’alerte des population­s tribales au coeur même de la frénésie urbaine et des centres de décision”, écrit Lionel Astruc. Avec ce livre, il s’attache comme lui à ce que “l’appel au secours des Adivasis sorte des forêts indiennes”. Mathieu Dejean

Traque verte – Les Dernières Heures d’un journalist­e en Inde de Lionel Astruc (Actes Sud), 160 pages, 16 €

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