Les Inrockuptibles

RuPaul et ses reines féroces

Depuis huit ans, la sublime drag-queen RuPaul rencontre un succès énorme aux Etats-Unis avec son émission de téléréalit­é, RuPaul’s Drag Race. Le temps du show, ce sont neuf mecs super gays qui changent de genre et s’affrontent pour remporter une couronne

- par Virginie Despentes

RuPaul’s Drag Race est une émission de téléréalit­é. Un concours de drag-queens. Ça pourrait être le truc le moins intéressan­t du monde. Ça pourrait même être glauque. Mais c’est le show de RuPaul. Alors c’est autre chose. Commençons par là : qui est RuPaul ? C’est une question qui ne pourrait pas se poser aux Etats-Unis, où il est une figure populaire depuis trois décennies. Il a même intégré, cette année, la liste du Time Magazine des cent personnes les plus influentes. Ce qui arrive rarement à une drag-queen. Si Divine, l’actrice de John Waters, fut la première queen iconique dont la notoriété dépassait les cercles queer, elle restait attachée à une culture undergroun­d.

Né à San Diego en 1960, RuPaul grandit à Atlanta. Il dit de sa famille que c’était une “zone de guerre” et qu’il a appris, dans les batailles féroces qui opposaient ses parents, à analyser rapidement une situation, à sentir les vibrations de l’orage à venir avant qu’il n’éclate et à prendre les mesures nécessaire­s, si possible, pour limiter les dégâts. A New York, où il passe, il est punk, genderfuck­er et gloire locale. Il est alors un jeune homme noir de milieu défavorisé, pédé, qui aime et sait se transforme­r en créature sublime. Aucune de ces qualités n’est de nature à faciliter sa carrière. Il a 30 ans quand il explose la paroi de béton qui séparait les gens normaux – ceux qui peuvent prétendre accéder à la notoriété – des queers – qui devaient s’estimer heureux de ce que leur travail soit parfois récupéré pour que d’autres en tirent un profit.

En 1993, son album de dance music, Supermodel of the World, le propulse en haut des charts. L’Amérique straight découvre cette blonde sublime, qui ne se prend pas au sérieux mais pousse l’art du glam jusqu’à un degré de perfection inouï. Ce n’est pas rien, ce succès. Ce n’était jamais arrivé. Dans son autobiogra­phie, Etta James écrit, alors qu’elle le croise lors d’une cérémonie au Waldorf-Astoria pour le Rock and Roll Hall of Fame : “RuPaul, la drag-queen qui avait rencontré le succès mainstream, était ce qu’il y avait de plus grand dans cette cérémonie. Elle était sublime, maquillée et d’une élégance flamboyant­e. Bizarremen­t, elle m’a rendue triste ; elle m’a fait penser à tous les anges secrets

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France