Mathieu Amalric & Jeanne Balibar
réalisateur et actrice de Barbara
Une vingtaine d’années après avoir formé le plus hypé des couples d’artistes français tendance bobo (amants à la ville, comme à la scène sous les caméras d’Assayas, Desplechin ou Biette), la réunion de ces deux-là est en soi un événement quasiment de nature à éclipser le film qui les rassemble. Mais fort heureusement, Barbara a largement de quoi retenir nos regards.
Pas tout à fait un biopic – plutôt un entrelacs narratif, un feuilleté de fictions qui superpose la vie de la chanteuse et le tournage de sa reconstitution. Biopic au carré donc, et même au cube : Amalric et Balibar ne se jouent pas euxmêmes mais empruntent une autre identité. “Parce qu’on allait bien sûr parler de nous sans le vouloir, jouer de notre complicité, mais parce qu’on ressentait tout de même l’envie joueuse de nous créer des doubles”, confient-ils, pleins de cette joie propre aux retrouvailles. La chanteuse, c’est pour Amalric “un souvenir d’enfance, on l’écoutait en famille dans les longs trajets en voiture”. Un morceau d’intimité à partager donc, et, intime, le film l’est tout particulièrement : l’acteurréalisateur s’y projette beaucoup, comme lorsqu’il revisite sans détour l’objet obsessionnel qu’est pour lui Cléo de 5 à 7. “Une fascination pour la scène de Michel Legrand, sa façon de passer dans le même plan d’une réalité à une autre par le seul sortilège de la musique” : cette scénographie riche et évolutive, débordante d’artifices, Barbara la fait sienne en glissant, de scène en scène, comme un édifice en perpétuel déséquilibre, s’effondrant et se reconstruisant dans le même mouvement infini. A l’arrivée, que reste-t-il de Barbara ? Une mixtape, un album de souvenirs secrets, quelques chansons bien sûr (belle confluence des voix : Balibar ou Barbara, on ne parvient pas toujours à trancher) et, finalement, beaucoup d’ellipses. Lascive, fumant, allongée comme un chat sur le canapé où elle nous reçoit, l’actrice s’amuse du mystère que le film tente de conserver entier : “On voulait presque qu’on sorte de la salle sans en savoir plus sur elle qu’au moment d’y entrer.” Et pourtant, on a l’impression d’y avoir précisément appris, ou plutôt senti, entendu, perçu, deviné, l’essentiel. T. R. Un certain regard