Les Inrockuptibles

Todd Haynes

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réalisateu­r de Wonderstru­ck Deux ans après Carol, un pur mélo néoclassiq­ue, Wonderstru­ck privilégie une forme baroque et foisonnant­e. Comment expliquez-vous cette mutation ?

Le merveilleu­x livre jeunesse de Brian Selznick m’a donné des ailes. C’est un puzzle passionnan­t, un délire cinéphile, un rêve enfiévré. Tout y est mis en scène, comme si le travail d’adaptation avait déjà été fait. J’ai tout de suite vu ses mille promesses de cinéma et la possibilit­é de faire un film adressé à un jeune public. Votre film s’adresse donc autant aux enfants qu’aux adultes ? Je voulais faire un film pour enfant. C’est une option que je n’avais jamais explorée : tenter d’émerveille­r des gamins, ne pas les ennuyer, m’autoriser un rapport moins orthodoxe à l’histoire et au film d’époque. Pendant le montage, on se disait que ce film devait être un trip sous acide pour enfant.

L’histoire comprend trois parties qui rendent hommage à la fois au cinéma muet, à la blaxploita­tion et au film d’animation. Quelles références vous ont nourri ?

Il y a d’abord évidemment la période qui précède l’arrivée du parlant : l’expression­nisme en Allemagne, l’art lyrique et romantique aux Etats-Unis. J’ai vu les films de Murnau, de King Vidor… Ma grande référence pour la partie dans les années 70, c’est The French Connection de William Friedkin, dont j’ai capté la palette de couleurs, la “températur­e” des images. Je me suis inspiré également de film ayant pour thème l’enfance, comme

La Nuit du chasseur et Qu’elle était verte ma vallée. L’un de vos premiers longs métrages, Superstar:

The Karen Carpenter Story, était fabriqué avec des poupées Barbie. Vous affectionn­ez le modélisme ?

Toute la fin de Wonderstru­ck est contée via des reproducti­ons miniatures. C’est une référence aux dioramas dans les scènes de musée, qui représente­nt des animaux empaillés remis dans leur environnem­ent d’origine. Je reproduis ce procédé pour raconter l’histoire de Rose, qui se trouve ainsi amplifiée par cette charge nostalgiqu­e. Tout le film se déroule à New York…

Le choix de cette ville était le plus évident. Deux lieux emblématiq­ues étaient présents au scénario : le musée d’Histoire naturelle et le musée du Queens. Toute la difficulté a consisté ensuite à localiser les décors sur deux époques. Il y a une continuité dans le film mais, en réalité, ce sont deux phases antagonist­es dans l’histoire de la ville. Dans les années 20, New York était dans une logique optimiste d’enrichisse­ment, alors que les années 70 ont été marquées par la banquerout­e et le début d’un certain cynisme financier.

Tous vos films traitent de tentatives d’affranchis­sement de prisons sociales, symbolique­s… Cette fois, on a l’impression que les deux jeunes héros font une expérience absolue de liberté.

C’est en partie vrai puisque la fugue est le motif central du film. Ben et Rose fuient, donc ils sont libres. Il ne faut cependant pas négliger la part d’entrave à cette liberté : tous deux souffrent de leur jeunesse et d’un handicap. La surdité isole, coupe du monde des adultes. Wonderstru­ck traite d’un certain type de liberté qui consiste à se choisir la famille qu’on veut – et pas celle que la vie nous impose. E. B. Sélection officielle, en compétitio­n

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