Une bonne paire de Schlaasss dans la gueule
Avec leur punk electro-trap, Charlie Dirty Duran et Daddy Schwartz lâchent des textes ravageurs qui tailladent tous les conformismes. Insoumis ? Non, autonomes !
Quand on rencontre Charlie Dirty Duran et Daddy Schwartz, alias Schlaasss, pour l’interview, elle commence par fouiller dans son sac, puis en sort deux cadeaux issus du merch du groupe : un gode en céramique (fabriqué par une de leurs copines à Saint-Etienne) et un T-shirt où est écrit “Je suis féministe et j’avale”. Lascive attaque. Peut-être un clin d’oeil à la chanson Salope de 2015, grosse colère contre les fil(le)s à papa du show-business, qui disait entre autres : “Rendez-vous dans le bar VIP des Victoires de la musique/On se fera tailler des pipes par les attachés de presse des Inrocks.” Tout cela est plutôt drôle. On redoutait un peu la rencontre avec ces deux enragés electro-punk. En vrai, ils sont mignons comme des chatons avec des griffes acérées, et trop intelligents et impliqués dans Schlaasss pour tout gâcher avec des postures de branleurs. Branchés cul, oui, mais relié au QI.
C’est Virginie Despentes qui a voulu mettre Schlaasss au sommaire. On était pour et on la comprend : la voix de gamine tarée, pure et crade en même temps, de Charlie Dirty Duran, aussi belle qu’une balle, c’est celle des deux paumées inflammables de Baise-moi. Daddy Schwartz, lui, ferait un bon vieux pote en région de Vernon Subutex, un buriné tatoué de la musique au maquis, passé du rock alternatif aux musiques improvisées et au free-jazz, voire à la chanson décadente et au blues indus, puis à Schlaasss.
Charlie Dirty Duran et Daddy Schwartz se sont connus à l’école des Mines de Saint-Etienne. Pas l’école où on apprend à se mettre des mines, mais celle où on devient ingénieur – normalement. Elle étudiait l’hydraulique, lui la chimie des métaux. Charlie : “On avait des voix particulières et on a commencé Schlaasss pour faire des trucs ensemble, sans réfléchir.” C’était il y a cinq ans. “On partait sur deux ou trois morceaux, et ça s’est fini avec un album. On n’avait pas de plan, juste de l’urgence, de la joie, de la magie. C’était spontané, et ça a joué pour nous.
En faisant ce qui est vrai pour nous, ça a matché avec un truc dans l’air et avec d’autres gens, qui ont eu envie de rigoler et de faire des choses avec nous, comme Mekki qui fait toutes nos vidéos”, explique Daddy Schwartz en tirant sur sa vapoteuse.
La cigarette électronique fait une assez bonne métaphore du second album de Schlaasss, qui vient de sortir : la bonne vieille tabagie (le rituel du feu, le plaisir, l’addiction, la transgression sociale, les plus de 70 substances toxiques, la mort à la fin) filtrée par une technologie lisse, rassurante et récente (mais avec la mort à la fin quand même). Soit, chez Schlaasss, des textes agressifs, acides et subversifs balancés comme des crachats, mais dans l’emballage faussement aseptisé de la musique produite sur ordinateur et de l’Auto-Tune, voire de refrains un peu puputes (comme ils disent dans la chanson Pupute).
Les morceaux les plus réussis de l’album sont ceux où Schlaasss joue une sorte de trap bien lourde et en même temps candide (de la trap-coeur ?), mais pas franchement romantique. De la musique d’ici et maintenant et légèrement déviante. Daddy Schwartz : “J’ai découvert la trap, Young Thug, et j’ai trouvé ça très drôle, c’est une sorte de minimalisme mais sans le fond intellectuel parfois chiant dans le minimalisme. Et c’est super efficace.” Charlie Dirty Duran : “Moi, le rap m’a construite depuis que je suis toute petite. Mais on n’a pas vraiment de flow, on ne sait ni rapper ni chanter. Ça tombe bien, il y a en ce moment tout un mouvement de rappeurs qui déconstruisent, qui chantent avec des paroles abstraites. On s’est retrouvés là-dedans avec et grâce à Kiki, notre beatmaker.” Ce nouvel album s’appelle donc Casa Plaisance. “Pour évoquer un lieu de vacances, de sable fin, de mojitos avec des putes. Ou un album electro French Touch un peu seventies, la Floride, les néons, le Spring Break et les Jet Ski.”
Pour déconner, donc. Pour dézinguer sans pitié et dans un rire dément tous les carcans, les quant-à-soi, la beauferie de partout, les lieux communs de la pensée et de la posture, les impératifs, tout ce qui finira un jour en “isme”, toutes les petites dictatures d’embourgeoisement intime et social qui rendent la vie plus facile mais pas moins fausse. Mieux, beaucoup mieux que des insoumis : des autonomes, des esprits et des corps libres, affranchis et alternatifs à tout. “On essaie de se provoquer nous-mêmes, de se retourner nos idées. C’est fatigant, mais on le fait exprès, et avec joie. Ce qu’on préfère avec Schlaasss, c’est jouer, la scène. On tourne à la fois dans les squats et dans le milieu institutionnel. Et on est tout le temps confrontés à des clivages entre les gens, entre les genres : faut pas jouer dans les squats, faut pas faire d’Auto-Tune, faut pas passer à la télé. Les chapelles, les trucs interdits, c’est hyper chiant. Je t’emmerde, on fait ce qu’on veut. Je n’ai aucun mépris pour aucune culture”, s’emballe Charlie Dirty Duran. “Et je n’ai que du mépris pour toutes les cultures”, rebondit Daddy Schwartz. Elle : “Dans la musique, on cherche la même chose que dans le sexe : le plaisir, la libération, le mouvement. S’affranchir des tabous, des théories chiantes. La liberté sexuelle, c’est vis-à-vis de soi-même, pas d’une norme, quelle qu’elle soit. Le plaisir, c’est un endroit où tu reprends de la force et de l’autonomie. Le plaisir vient de toi. Et c’est gratos, comme le soleil.”
Dans les chansons dessalées de Schlaasss, tout ça est dit avec des histoires, des saynètes malsaines et pas nettes, dans lesquelles il y a souvent les mots “bite”, “cul” et d’autres dans le même genre. La forme est joyeuse, obscène, vénère, parfois débile, et quand c’est pas le moment, elle peut vraiment taper sur les nerfs (il faut écouter l’album jusqu’à sa toute vicieuse fin, les deux dernières minutes à moitié cachées de Philippe le dauphin, pour comprendre). Mais le fond est là, bien profond. Schlaasss a toujours le cul entre deux chaises. Et le plus important, ce n’est pas les chaises, c’est le cul.
“rendez-vous dans le bar VIP des Victoires de la musique/On se fera tailler des pipes par les attachés de presse des Inrocks” paroles de la chanson Salope