Les Inrockuptibles

Queer, black and proud

Figure de la scène voguing parisienne, Kiddy Smile fait bouger les lignes pop avec ses beats 90’s, imposant une imagerie rafraîchis­sante et salutaire.

- Romain Burrel

Avec sa taille triple XL (plus de 2 mètres !), sa peau noire et son discours queer, Kiddy Smile est une aberration. Un bug dans le logiciel d’une industrie musicale française ultraforma­tée, la plupart du temps créée pour produire à la chaîne de petites choses blanches et inoffensiv­es ou du rap séditieux. “J’ai conscience de ce que je représente aujourd’hui, admet-il à demi-mot. Je pense que mon propos coïncide avec la musique et le climat social.”

On repère Kiddy Smile (de son vrai nom Pierre-Edouard Hanffou) d’abord en 2013, avec un premier single, Get Myself Alone. Mais c’est le clip de Let a Bitch Know, paru à l’été 2016, qui imprimera les rétines. On y découvre, sidéré, un essaim de filles et de garçons (tous issus de la communauté voguing parisienne) twerkant en survète et perruque longue en plein coeur de la cité des Alouettes, à Alfortvill­e. “Ce clip, ce n’est pas un appel à tous les pédés à faire leur coming-out dans leur cité, comme je l’ai lu. Pour moi, c’est juste une façon de dire : ‘Je veux simplement être moi-même dans mon milieu naturel.’” Le clip vaudra au chanteur des menaces de mort sur YouTube.

Pourtant, la banlieue, Kiddy la connaît bien, pour avoir grandi dans une cité du côté de Rambouille­t, dans une famille d’origine camerounai­se. “Dans un de ces endroits où l’on parque les gens qui sont pauvres, pas caucasiens, s’amuse-t-il. La banlieue est le fruit du machisme de notre société. Tout ce qui renvoie au féminin est synonyme de faiblesse. Et pourtant il y a une sexualité gay en banlieue, elle est cachée. Moi j’ai eu de la chance. J’ai fait mon coming-out tard mais je n’ai pas eu besoin de mentir ou de m’inventer une petite copine. Avec mon physique, je pense que j’inspirais la crainte.” Ado, Kiddy découvre la danse hip-hop. Au son de George Clinton, de Cameo ou de Diana Ross, il apprend à maîtriser les différents styles de danse : le locking, le popping, le new style… Mais c’est la sortie de l’album du 113, Les Princes de la ville, produit par DJ Medhi, qui va secouer le jeune homme : “J’ai longtemps fait un rejet de la musique électroniq­ue. Pour moi, c’était un truc élitiste. La production exigeait des moyens que je n’avais pas. Quand tu grandis en quartier, c’est le rap qui s’impose à toi car c’est une musique qui ne coûte rien. Comment j’aurais pu danser sur de la house ? En club ? Fallait déjà y entrer !”

Sa maîtrise de la danse et sa science du look lui valent d’être repéré par les chorégraph­es de George Michael et de Madonna, dont il rate de peu le casting du clip Hung up à cause de son physique hors norme : “Là, je me suis dit que je devrais peut-être faire mon propre truc.” En attendant, Kiddy enchaîne les petits boulots : styliste, physio au Wanderlust, choriste… Il se fraie un passage dans la hype parisienne. Beth Ditto, la chanteuse de Gossip, se prend d’affection pour lui et l’invite à la rejoindre sur scène à Coachella, tandis qu’Olivier Rousteing, styliste de la maison Balmain, lui demande d’élaborer les playlists de ses défilés.

Dans son coin, il affine son univers, un son porté par un chant grave, une house d’inspiratio­n 90’s et des basslines sexy qui rappellent les production­s de Todd Terry. “Quand j’ai signé chez Defected, je leur ai dit : ‘Débrouille­z-vous comme vous voulez mais je veux un remix de Todd Terry !” Depuis plusieurs années, Kiddy est très impliqué dans la scène voguing qui ne cesse de croître à Paris. La dimension politique de cette danse née à New York dans la communauté noire et trans fascine le jeune homme : “La communauté est un endroit safe où tu peux oublier l’oppression que tu subis à l’extérieur, tout comme tu dois laisser tes privilèges dehors, explique Kiddy. Le voguing n’a pas été inventé pour lutter contre l’homophobie mais pour répondre au racisme au sein de la communauté homosexuel­le. C’est plus qu’une danse, c’est la vie des gens. Il ne faut pas oublier qu’il y a une histoire.”

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ep Teardrop in the Box (Defected) live le 8 juillet à Paris (Gaîté Lyrique, festival Loud and Proud)
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