Les Inrockuptibles

une vie fragmentée

De l’Iran à la France, Maryam Madjidi raconte avec humour son itinéraire d’enfant exilée. Un texte hautement inventif récompensé du Goncourt du premier roman.

- Sylvie Tanette

Ca se confirme : une nouvelle génération de romancière­s bouscule la littératur­e française. Nina Yargekov, Anne Akrich, aujourd’hui Maryam Madjidi, autant de surdouées atypiques qui tordent la forme romanesque pour, avec beaucoup de fantaisie, faire part d’une expérience personnell­e où se mêlent histoires d’exils et d’ailleurs, double culture et langues multiples. En résumé, la France d’aujourd’hui.

Maryam Madjidi, qui vient de décrocher un Goncourt du premier roman bien mérité, signe un texte composite, émouvant et drôle, très audacieux dans sa forme. L’auteure raconte sa vie et celle de ses parents, militants de gauche partis d’Iran quelques années après la révolution, avec leur petite fille alors âgée de 6 ans. Elle se souvient dans le désordre des mois qui ont précédé le départ, de l’installati­on à Paris, de sa petite école, de son quotidien de lycéenne et d’étudiante où la sérénité n’arrive que pas après pas.

Dans un patchwork de courts chapitres, utilisant tour à tour les ressorts du conte, de l’autobiogra­phie ou de l’essai, Madjidi liste les différente­s problémati­ques que doit affronter un exilé. Se succèdent des anecdotes sur la vie en Iran quand elle est bébé et que ses parents cachent des liasses de tracts dans sa grenouillè­re, les souvenirs de l’arrivée en France et de ses terreurs d’enfant, des éclats de conversati­ons qui évoquent la violence de la dictature. Pointant avec à-propos les failles du modèle français d’intégratio­n, elle raconte aussi les mille vexations qu’elle subit dans un pays où il se trouvera toujours quelqu’un pour lui faire remarquer qu’elle n’est pas une vraie Française, quand un autre s’extasiera naïvement sur son exotisme. Mais cette accumulati­on en apparence éclectique est cohérente, elle permet de mettre à jour les nombreuses étapes qu’il lui a fallu franchir pour parvenir à se construire, depuis l’abandon buté de sa langue maternelle jusqu’à sa redécouver­te.

En refusant la linéarité du récit, l’auteure traduit la complexité d’une vie, les hésitation­s de son parcours, que révèlent un retour paradoxal à Téhéran et une expatriati­on surprise en Chine. Et sous l’avalanche surgissent des personnage­s, la grand-mère éplorée là-bas, les parents désemparés ici, et les fantômes du pays perdu qui la suivent dans Paris. “Je déterre les morts en écrivant.”

Marx et la poupée (Le Nouvel Attila), 208 pages, 18 €

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