Les Inrockuptibles

sa majesté Princess Nokia

Avec son dernier ep très remarqué, 1992, Princess Nokia a fait de l’afro-féminisme son combat. A l’occasion de son passage au festival Villette Sonique, portrait d’une rappeuse douée et engagée.

- Par Carole Boinet

portrait d’une rappeuse engagée qui a fait de l’afro-féminisme son combat. Bientôt à Villette Sonique

Derrière ce pseudo qui en fait ricaner plus d’un ne se cache pas une star de la K-pop sponsorisé­e par une marque de téléphonie mobile mais la digne héritière des Riot Grrrls. Avec son dernier ep, 1992, lâché gratuiteme­nt sur internet en septembre 2016, Princess Nokia démontrait que le rap des années 2010 ne se limitait pas à des histoires de cul, de drogue et de fric sur fond de filtres Instagram, mais pouvait, comme ses ancêtres, se faire militant. Son combat est celui de l’afrofémini­sme, une branche du féminisme dit “intersecti­onnel” qui dénonce le manque de diversité de la lutte pour l’égalité femmes-hommes et oeuvre pour la prise en compte du racisme subi par les femmes non blanches.

Comme Beyoncé ou Solange Knowles, cette New-Yorkaise d’origine afro-portoricai­ne appelle à l’empowermen­t à grand renfort de textes incisifs, de clips léchés et de live sincères. “Je suis fière d’appartenir à cette section du féminisme que l’on a beaucoup moins entendue dans l’histoire. C’est pour cela que je m’investis beaucoup dans son revival auprès des jeunes génération­s. Je ne crois pas que nous devions rester sur le banc de touche”, nous expliquait-elle lors de notre première rencontre en octobre 2016.

Tout en elle convoque l’esprit d’une Kathleen Hanna période Bikini Kill. Si Princess Nokia embrasse le hip-hop, elle n’en transpire pas moins une énergie punk radicale et salvatrice. Ses textes, soutenus par des prods qui tournent le dos à la mode de la trap pour plonger leurs racines dans la grande tradition du hip-hop new-yorkais des années 1990, sont autant de majeurs levés à la face d’un monde encore bien trop patriarcal.

Sur le morceau Tomboy (utilisé par le fan de hip-hop Alexander Wang comme BO du défilé de sa collection printemps 2017), elle se décrit comme un “garçon manqué”, loue ses “petits seins” et son “gros ventre”. La plus violente Kitana la voit lâcher : “Les rimes que je crache sont malades, regarde-toi saigner de la jugulaire/Tu peux me sucer la bite/Toutes ces baises véreuses qui m’ont piégée/ Depuis le berceau, je suis dans le show/Je fais mon truc comme jamais auparavant.” Princess Nokia veut libérer : “Je veux que les jeunes filles enlèvent leur soutif à mes concerts, sans peur, bitchy et courageuse­s. Je souhaite que les femmes de couleur voient quelqu’un qui leur ressemble dans les médias, dans la musique.”

Enfance et adolescenc­e furent soumises à rude épreuve. Suite aux décès de sa mère puis de sa grand-mère (“Elle m’a appris à ne jamais laisser un homme me dominer oum’ hyper sexualiser ”), Destiny Frasqueri – de son vrai nom – est placée en famille d’accueil et trouve un réconfort dans les fanzines et la pratique du collage. A 16 ans, elle décide d’écouter “le feu dans son ventre” et claque la porte. Elle se retrouve à sillonner Harlem et Manhattan sur son vélo de dealeuse de weed, son portable Nokia scotché à l’oreille pour ne pas louper l’appel d’un client, puis d’un booker.

Car entre-temps, la jeune fille s’est lancée dans la musique sous divers pseudos. Plus pop au départ avec les deux mixtapes Metallic Butterfly (2014) et Honeysuckl­e (2015) avant d’embrasser ce hip-hop qui lui faisait de l’oeil depuis un bon bout de temps.

“Le hip-hop, c’est comme de l’eau. C’est tout autour de moi, à la radio, sur les lèvres de mes amis, de mes oncles, de ma famille. Le rap est l’amour de ma vie. En grandissan­t, je me suis toujours rapprochée des origines presque punk du hip-hop, qui célébrait le fait de faire quelque chose à partir de rien. J’ai toujours aimé ce concept, que j’ai essayé d’appliquer à ma production artistique”, lâchait-elle lors de notre deuxième entrevue en janvier.

Princess Nokia fait ici autant référence à la force brute de ses morceaux et de leurs clips, de belles bouffées d’air frais, qu’à son attachemen­t à la notion d’indépendan­ce. La rappeuse fait tout de A à Z–ou presque– et tient à le faire savoir. Programmat­eur du festival Villette Sonique où elle jouera le 28 mai, Etienne Blanchot abonde : “Heureuseme­nt, elle a de bons agents pour lui organiser des tournées car Nokia est sauvage et n’en fait quasiment qu’à sa tête. Le truc un peu périlleux quand on la programme, c’est qu’on n’est jusqu’au bout jamais complèteme­nt certain qu’elle va venir… Mille choses improbable­s peuvent lui arriver entre-temps.” Croisons les doigts.

concert le 28 mai à Paris, Villette Sonique, accès libre

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