Les Inrockuptibles

portraits choisis

Des enfants en fugue, un paysan mystique, une actrice coréenne amoureuse… Les visages de cette première semaine de Festival.

- par Emily Barnett, Bruno Deruisseau, Jacky Goldberg et Théo Ribeton photo Renaud Monfourny

Tilda Swinton

actrice dans Okja de Bong Joon-ho

Tilda Swinton semble inspirer à Bong Joon-ho la bouffonner­ie du pouvoir. Après l’avoir ornée d’un masque de dictateur dans la dystopie ferrée Snowpierce­r – Le Transperce­neige, il lui fait incarner, dans Okja, une cheffe d’entreprise cherchant à redorer le blason bien boueux de son business familial, usant pour cela de toutes les techniques de séduction perverses du capitalism­e contempora­in.

Lucy Mirando, votre personnage, incarne la face séductrice du capitalism­e. Comment la jugez-vous ?

Lucy agit en réaction aux règles brutales qu’incarnent son père et sa soeur. Elle veut offrir un visage souriant plutôt que dominateur. Elle veut être aimée, et c’est ce qui la perd. Car contrairem­ent à son père qui assumait le côté brutal et sans pitié de son business, elle n’est pas honnête. Elle affiche tous les signes extérieurs de la gauchitude (“hollistiqu­e, bio, durable”), mais on découvre qu’elle exploite aussi férocement que n’importe qui d’autre. Elle me fait penser à cette chaîne de supermarch­é bio, Whole Foods, qui vante dans ses publicités les modes de vie alternatif­s, le respect de la nature, etc., et dont on vient de découvrir qu’elle appartient à Monsanto, une des pires multinatio­nales. Ça nous a pas mal inspirés pour Mirando…

Vous assumez une part de grotesque dans l’interpréta­tion de ce personnage ?

Oui, mais pas autant que dans Snowpierce­r où, pour créer Mason, Bong Joon-ho et moi avions puisé dans le registre des leaders théâtraux comme Hitler, Khadafi, Thatcher, Berlusconi… En revanche, il y a quelqu’un que j’ai découvert après la conception du personnage, donc plus une révélation qu’une inspiratio­n : c’est Ivanka Trump. Elle me rappelle vraiment Lucy. Et quand je vois son père, je me dis que Mason, finalement, n’était pas un personnage si irréaliste. Le réel rattrape toujours la fiction.

Outre le recours au grotesque, vous faites souvent appel au transformi­sme, y compris dans ce film…

Pendant mes études, je me suis beaucoup intéressée à Brecht, et si quelqu’un m’a influencée, c’est bien lui, avec son concept de déplacemen­t. A vrai dire, pour jouer la comédie je vais chercher quelque chose de très enfantin. J’aime jouer avec les identités, de la même façon qu’une enfant de 8 ans changerait de robe. De ce point de vue, le travail de Cindy Sherman m’a aussi marquée. Je n’ai jamais considéré mon métier comme un vrai métier d’adulte. Le jeu, qui est paradoxale­ment ce pour quoi je suis connue, est pour moi une diversion. Un truc buissonnie­r.

Vous travaillez souvent avec les mêmes réalisateu­rs auxquels vous êtes fidèles. J’imagine que ça facilite cet aspect ludique de votre travail ?

Totalement. J’ai une chance de dingue, rendezvous compte : je ne travaille qu’avec des gens que j’aime. C’est un luxe absolu. Ça a commencé avec Derek Jarman avec qui j’ai travaillé exclusivem­ent pendant neuf ans. Il y a aussi Luca Guadagnino que je connais depuis vingt ans. Avec eux, je suis en confiance et je me lâche plus facilement.

Y a-t-il un réalisateu­r avec qui vous rêveriez de travailler ?

Oui, et je suis sur le point de le faire : Apichatpon­g Weerasetha­kul. Ça fait des années qu’on en parle et ça y est, enfin (elle tape du poing sur la table – ndlr). Je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant car on doit évoquer ça ensemble dans quelques jours, mais c’est une joie et une fierté immenses pour moi. J. G. Sélection officielle, en compétitio­n

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