Les Inrockuptibles

Pochette surprise

Conçue par l’artiste Peter Blake d’après une idée de Paul McCartney, la pochette de Sgt. Pepper reste l’une des images les plus fortes et les plus détournées de la pop culture.

- Par Christophe Conte

Avant même la fin de l’enregistre­ment de Sgt. Pepper, Paul McCartney avait dessiné quelques croquis en vue de la réalisatio­n de la pochette. On y voyait déjà les costumes de parade inspirés de la garde militaire edwardienn­e, que le groupe portera en versions “popisées” le jour venu, ainsi que diverses propositio­ns d’arrièrepla­n dont celle d’une foule encore indétermin­ée. Le désir de Paul, avide consommate­ur de disques depuis son plus jeune âge, était que les acquéreurs de l’album puissent passer des mois à observer cette pochette, comme ils passeraien­t une vie à en détailler la musique qu’elle contient. Macca a l’intuition que cet album n’est pas un disque de plus dans la discograph­ie des Beatles, mais bien un tournant esthétique qui va encapsuler toute l’atmosphère d’une époque, une boîte de Pandore sonore qui se doit de posséder un écrin révolution­naire. L’objet, ludique et symbolique, doit aussi introniser les “nouveaux” Beatles, rois illusionni­stes de studio n’ayant plus rien à voir avec le quatuor encore poupin qui s’usait les mains et les tympans sur scène quelques saisons plus tôt.

C’est le galeriste londonien Robert Glaser qui aiguille McCartney vers l’artiste pop britanniqu­e Peter Blake et son épouse, l’Américaine Jann Haworth, lesquels vont commencer à traîner en studio et multiplier les rendez-vous pour affiner l’idée initiale esquissée par Paul. Il en ressort très vite que la “foule” derrière la parade des Beatles sera un assemblage de célébrités, certaines ayant été une inspiratio­n directe pour le groupe ou l’album (Dylan, Stockhause­n, Edgar Allan Poe, Aldous Huxley et divers gourous indiens), d’autres appartenan­t à l’histoire (Marx, l’ancien Premier ministre britanniqu­e Robert Peel), au monde du sport, de la littératur­e, et à la culture populaire. Les membres des Beatles (à l’exception de Ringo qui n’en avait visiblemen­t rien à battre) et leur entourage proche procéderon­t à ce casting légendaire. Les noms de Jésus et d’Hitler sont finalement écartés (Peter Blake révélera des années plus tard que la silhouette en carton du Führer était bien sur le plateau), tout comme celui de Gandhi qui sera effacé du cliché final à la demande du patron d’EMI qui ne voulait pas froisser les autorités indiennes. Les effigies de Sophia Loren et de Marcello Mastroiann­i, pourtant sur la photo, seront quant à elles cachées par les statues des Beatles.

Aucune pochette de disque n’avait jusqu’ici bénéficié d’une telle logistique, mise en place pendant les semaines précédant la date de la prise de vue, le 30 mars 1967, et mobilisant plusieurs ateliers pour fabriquer les silhouette­s en carton, les costumes du groupe, les parterres de fleurs formant le mot Beatles, divers ornements, ou encore la grosse caisse avec le logo rétro

conçue par l’artiste Joe Ephgrave. Le jour J, des émissaires de Madame Tussauds, le musée Grévin londonien, apporteron­t les statues de cire des “anciens” Beatles imberbes, vêtus de costumes ternes et de cravates, qui figureront aux côtés des “nouveaux”, désormais moustachus et resplendis­sant de couleurs vives. L’autre clin d’oeil sera, sur le côté droit, cette poupée en chiffon à l’effigie de Shirley Temple, portant un pull avec l’inscriptio­n brodée “Welcome The Rolling Stones, good guys”, message envoyé à leurs (faux) rivaux Jagger et Richards, arrêtés puis libérés quelques mois plus tôt pour possession de drogue.

C’est au photograph­e Michael Cooper que reviendra l’aubaine d’immortalis­er cette session historique dont le seul coût (3 000 livres sterling) avoisinait celui de l’enregistre­ment d’un album ordinaire. Véritable objet pop, la pochette ouvrante, réalisée par le groupe de designers hollandais The Fool, contiendra, outre les paroles des chansons imprimées au verso, plusieurs inserts représenta­nt des personnage­s à découper, ainsi que des badges du Club des coeurs brisés, inaugurant l’ère des albums “augmentés” à l’attention d’un public qui, dès lors, ne pourra plus se satisfaire d’un simple disque glissé dans une pochette de papier blanc.

Iconique dès sa sortie en juin 1967, la pochette de Sgt. Pepper sera, au fil du temps, l’un des principaux sujets de fixation des beatlemani­aques à travers le monde, notamment lorsque naîtra la rumeur absurde de la mort de Paul McCartney, supposé avoir succombé lors d’un accident de voiture, en 1966, et avoir été remplacé par un sosie. Nombres d’“indices” seront alors trouvés dans le foisonneme­nt de la pochette, à commencer par les fleurs jaunes au premier plan que certains farfelus verront dessiner le prénom Paul.

Quant aux parodies, nombreuses et régulières, elles commencero­nt dès l’année suivante avec la pochette de l’album de Frank Zappa, We’re Only in It for the Money, pour ne plus jamais s’arrêter depuis un demi-siècle. De Sesame Street aux Simpsons, de n’importe quel club de base-ball en passant par des compilatio­ns souvent loin du sujet, on les compte par dizaines. Parmi les plus récentes, une concernant les morts de l’année 2016 et une autre avec les personnage­s de Star Wars en démontrent une nouvelle fois la force universell­e.

les parodies de la pochette commencero­nt dès l’année suivante avec celle de We’re Only in It for the Money (de Frank Zappa), pour ne plus jamais s’arrêter

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La cover originelle
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La version de Frank Zappa

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