Les Inrockuptibles

Juliette Armanet

Trois mois après la sortie de son premier album Petite amie, la révélation française de l’année se raconte sans filtre, avant de prendre la route des festivals. L’été sera Armanet.

- propos recueillis par Géraldine Sarratia et Pierre Siankowski photo Philippe Jarrigeon pour Les Inrockupti­bles

entretien avec la révélation française de l’année, qui se raconte sans filtre avant de prendre la route des festivals d’été

Solo sur mon île, sur ma plage”, chante Juliette Armanet dans L’Amour en solitaire, son titre le plus connu et peut-être le plus emblématiq­ue de son style – ce doux mélange de romantisme pur jus, d’écriture ciselée et de jeux de mots dadaïstes. Trois mois après la sortie de Petite amie, son premier album, la jeune femme de 34 ans voit la plage se remplir à vue d’oeil : 25 000 exemplaire­s se sont écoulés, sans bénéficier pour l’instant du réseaux des grosses radios (à l’exception de France Inter), qui pourraient la faire exploser à la rentrée. Une belle performanc­e pour cette artiste qui semble aussi à l’aise dans de petites salles que sur les gros plateaux télés (récemment celui de TF1 pour la Fête de la musique) et aime autant Fauré que Mariah Carey. “Ce qui m’importe dans une chanson, c’est l’émotion qu’elle procure”, expliquet-elle. Avant de la laisser prendre la route des festivals, on lui a demandé, devant un panaché, de se replonger dans son enfance, ses influences, et d’expliquer son envie d’une carrière à taille humaine, “où l’on prend son temps”.

Quel genre d’enfant étais-tu ? Juliette Armanet – J’ai vu une vidéo où j’avais l’air assez sage, assez gentille, assez douce. J’avais quand même un surnom que je n’ose pas trop dire : “Urliette”. J’avais tout le temps des maladies d’oreilles, je pleurais beaucoup, je crois. Mes parents m’ont dit que j’étais plutôt bien élevée, je suivais mon frère partout, on faisait les quatre cents coups : vélo, combats, cailloux, guerre… J’ai eu une enfance assez joueuse, joyeuse. Mes parents étaient libraires à Villeneuve­d’Ascq. On vivait dans un petit lotissemen­t. Quand j’ai eu 16 ans, on a déménagé en banlieue parisienne. On m’a formé l’esprit à l’ancienne, avec une “éducation Renaissanc­e” : des arts, des lettres, du sport… J’ai fait pas mal de patin à glace, de tennis… Tu draguais à la patinoire ? Ouais, mais je faisais ça aussi très sérieuseme­nt. C’était du sport de haut niveau, j’y allais avant l’école. Puis j’ai arrêté parce que la patinoire a brûlé à cause d’une friteuse qui a pris feu ! J’avais le look, le chignon, la tunique, les collants chair, la totale. J’ai patiné sur Everybody Needs Somebody, j’adorais les danses en couple, les twists, les toupies ! A quoi occupais-tu tes étés ? On allait dans la maison de mes grands-parents dans le Sud, près d’Antibes, avec mes cousines. J’y vais toujours, ça fait trente-trois ans que ça dure. C’était la maison de ma grand-mère, que j’adorais. Elle s’appelait Paulette, elle était pianiste, j’ai fait un docu sur elle. Tous les étés étaient synonymes de soleil, du Sud, de la mer, d’huile solaire et du gigotfayot de mon grand-père… Il y avait toujours beaucoup de monde, de la musique, tout le monde jouait du piano. Et qu’est-ce que tu faisais avec tes cousines ? Ma grand-mère peignait très bien et nous avait créé de grands décors sur des tissus. On jouait des pièces de théâtre, on inventait des défilés de mode. On montait nos petites créations, aidées par ma mère et ma grand-mère qui nous maquillaie­nt. Quel type d’univers ? On a surtout travaillé sur Pina Bausch et William Forsythe (rires)… Non, du Molière, on était très Molière dans la famille. Je vois mon enfance comme un grand truc assez chaleureux, ensoleillé. Je n’en ai pas énormément de souvenirs, parce qu’il n’y a pas eu de blessures. C’était très épanouissa­nt. Quelle musique écoutais-tu ? Celle que mes parents jouaient : du jazz, du classique. Toute ma famille est musicienne. Ma grand-mère donc, ma tante aussi, qui est chanteuse lyrique ; mon père composait énormément. Pas un seul jour n’a passé sans que quelqu’un ne s’assoie au piano. Ma grand-mère jouait du Fauré, du Chopin, ma mère pas mal de Debussy. Tu avais des tubes de l’été ? Oui ! Mariah Carey, les 3T, Stevie Wonder, Roch Voisine… On faisait des chorés sur des vieux tubes disco. J’écoutais Mariah Carey les yeux fermés, en chantant, la main qui tremble. J’adorais Supertramp, Ophélie Winter. Certaines de ses production­s déboîtent. C’était vraiment une créature bizarre. J’aimais aussi Billy Joel. Et puis du jazz : Chet Baker, Dinah Washington. Björk aussi que j’ai écoutée en long, en large et en travers. Et Voulzy ! Tu viens récemment de reprendre Ultra moderne

solitude de Souchon… Renaud Letang m’a proposé de la faire. J’ai chanté en gardant la tonalité originale de la chanson pour que ça parte super haut, que ça fasse un peu chanteuse chinoise. J’ai toujours écouté des trucs super popu, mainstream. Je n’ai jamais hiérarchis­é la musique. C’est ce que disait Barbara : “Si la chanson est bonne, la chanson est bonne.” La musique est cruelle, d’une façon : c’est totalement instinctif, on n’explique pas pourquoi on aime. L’enfance et l’adolescenc­e sont des passages très déterminan­ts pour s’ouvrir l’oreille. Je pense que j’ai été très influencée par les mélodies que jouait mon père, je joue aujourd’hui des choses très similaires. En musique, c’est l’émotion que me procure

“je n’ai jamais hiérarchis­é la musique. C’est ce que disait Barbara : ‘Si la chanson est bonne, la chanson est bonne’” Juliette Armanet

une chanson qui compte. Tu vois La Lambada ? Bal des pompiers le 14 juillet, t’as 15 ans, t’es avec un beau mec… ça vaut autant que d’aller écouter du Gustav Mahler à la Philharmon­ie en col roulé !

Tu dis souvent dans tes interviews que tu as envie que ta musique soit populaire, accessible.

Oui. C’est dur aujourd’hui et les radios sont hyper responsabl­es de ça. Elles passent Julien Clerc depuis trente ans, c’est épuisant. Si on passait des bonnes chansons populaires, Fishbach sur Chérie FM et Cléa Vincent sur RTL 2, ça deviendrai­t des hymnes populaires. Il y a des choses pointues qui sont devenues populaires parce qu’elles ont eu la chance d’être écoutées : Daft Punk, Kanye West, Drake… Comme quoi il ne faut jamais sous-estimer son auditeur. Les gens ont plus de goût que ce qu’on veut bien nous faire croire.

Ton album a reçu un très bon accueil. Tu as eu des retours de la part d’autres artistes ?

Véronique Sanson m’a passé un coup de fil pour me dire qu’elle avait trouvé ça bien. Ça m’a beaucoup touchée parce que c’est quand même une très grande musicienne. Dans ma génération, j’ai eu des retours de Flavien Berger, Jacques, Fishbach, L’Impératric­e, qui sont des gens que je respecte énormément. On va aux concerts les uns des autres, on s’estime même si on ne fait pas tous la même musique. Jacques m’a demandé de travailler sur un truc à lui, Flavien m’a envoyé de jolis mots. Ça compte beaucoup pour moi de ne pas être isolée de ce mouvement où il se passe plein de trucs.

Tu fais partie d’une génération qui a pris le contre-pied de Daft Punk, de Phoenix, et qui s’est autorisée à revenir au français.

C’est peut-être Tellier qui a ouvert cette voie. L’Amour et la Violence, Sexuality, ça a marqué tout le monde. Je crois que ce disque fait charnière entre musique électroniq­ue, avec une production parfaite, et chanson. Tu peux retrouver de cette influence chez Flavien dix ans après. Et c’est tant mieux, ce sont des fils, des transmissi­ons. Tu aimerais être produite par les Daft ? Quand je faisais mon disque, il y a longtemps, mon avocat m’avait dit : “Mais il faudrait les Daft… Je vous donne l’adresse, je l’ai.” J’ai envoyé une carte postale comme quand t’écris à tes grands parents : “Cher Daft Punk, voilà…” J’ai jamais eu de réponse (rires). S’ils l’avaient fait, j’y serais allée à fond. Mais après coup, c’est des réflexes un peu trouillard­s d’aller chercher la grosse star qui va produire ton disque. Ça t’empêche de faire ton disque, ça te plombe. Faire mon disque a été un processus très long, j’ai changé trois fois

“la position que j’ai eue jusqu’à maintenant, c’est ce qu’il y a de plus exaltant parce qu’on n’attend rien de toi. Je n’ai pas envie de devenir une machine à liker ou pas liker” Juliette Armanet

de producteur, j’ai explosé mon budget d’enregistre­ment, j’ai pris deux ans de retard. Je voulais quelqu’un qui aille dans le sens de mes chansons et pas qui veuille une prouesse de producteur. Alors, d’un côté, heureuseme­nt que les Daft Punk ne m’ont pas répondu !

Pour en revenir à Tellier, est-ce que tu rêverais d’écrire un morceau comme La Ritournell­e, très instrument­al ?

Quand on a commencé le disque, La Ritournell­e, c’était le morceau-référence pour l’album. Ça me fait un peu fantasmer de n’avoir que de la musique en tête. Ça vient doucement mais j’adore écrire, ça m’amuse tellement de trouver les mots, j’ai mes petits dicos, je fouine, je prends des notes, j’ai plein de carnets de mots… En ce moment, je n’ai pas assez le temps de lire. J’ai besoin de lire des mots pour pouvoir avoir envie d’en écrire. Quel est le dernier livre que tu as lu ? Là, je suis à fond sur Annie Ernaux. Elle est éblouissan­te. C’est très morbide quand même. J’ai lu des interviews d’elle plus jeune, elle est géniale. On dirait vraiment qu’elle est brûlée à l’acide, elle a un truc extrêmemen­t souffreteu­x dans le visage. Mais qu’est-ce qu’elle écrit bien.

Le fait que tes parents soient libraires, c’était facilitant pour lire ?

Oui. J’ai toujours aimé lire. Mon frère, lui, a fait un blocage. Quand j’étais petite, tous les gros classiques… Zola, Balzac, Dumas. Dumas, c’est le top. Le mec a inventé la série. Il y a toujours un cliffhange­r, t’as qu’une seule envie, c’est de te coller l’épisode suivant. Gaston Lagaffe aussi, et je regardais beaucoup Maggy. C’était bien, ça.

Ce n’était pas étrange de sortir ce disque pendant cette période assez horrible pour la France ?

Si. Ma mère pleurait au téléphone et me disait : “C’est la pire chose qui puisse t’arriver de sortir un disque en ce moment mais quelle drôle d’idée.” C’était horrible, très bizarre parce que très déconnecté du paysage médiatique, de la télé, de la rue, des préoccupat­ions et des discussion­s des gens le soir à l’apéro. Il y avait cette menace qui planait et ce débat Macron-Le Pen, tellement violent et insupporta­ble. C’était donc un exercice un peu schizo. Tu te poses aussi forcément la question de ton public. Je n’ai pas envie d’avoir un public qui vote Le Pen, j’ai pas cette ouverture d’esprit-là. Pourtant, tu te dis que c’est obligé qu’il y ait un mec qui a voté Le Pen qui vienne un jour à un de tes concerts.

Quel moment t’a le plus bouleversé­e depuis la sortie du disque ?

Ma release party. J’étais hyperconce­ntrée, il y avait quelque chose de solennel. L’objet existait, les gens

connaissai­ent déjà un peu les paroles. C’était très fort de les voir chanter. Mon père pleurait, ça fait très sentimenta­l et ricain de dire ça, mais ça m’a touchée. Mes parents n’ont pas toujours été contents que je fasse de la musique. A 20 ans, j’ai fait un premier disque qui s’appelle Ma boucherie amoureuse. C’était une sorte de cabaret expression­isto-érotico-théâtral, avec des chansons très cul. Mes parents étaient six pieds sous terre. J’ai freiné parce que je n’étais pas prête, je n’aimais pas la musique. Quelqu’un m’a demandé l’autre jour si j’aimais ma musique. C’est une bonne question, on n’aime pas toujours la musique qu’on fait. On fait la musique qu’on a en soi. Mais j’étais trop loin de moi pour défendre ce projet dignement.

Est-ce qu’il y a des soirs où tu n’es pas contente de toi sur scène ?

Oui. Avant, je jouais seule au piano donc je ne pouvais en vouloir qu’à moi-même. Maintenant, on est un groupe, il y a une responsabi­lité collective. Il faut que j’arrive à me projeter dans un groupe, pour rendre l’exigence collective. J’aime bien les petites salles, les trucs informels. Le Zénith avec Julien Doré, ce n’est pas ce que j’ai préféré… Ce n’est pas trop à échelle humaine, le musicien est à quarante mètres de toi, tu vois le public comme une masse informe. Tu ne sais pas à qui tu t’adresses. C’est comme un concert dans un Intermarch­é. As-tu peur du succès, que cela grossisse trop vite ? Franchemen­t, là, j’étais en Belgique il y a trois jours et j’avais l’impression que personne n’en avait rien à secouer. Il faut relativise­r. C’est aussi un choix. Si tu veux un truc à la Christine And The Queens ou pas. C’est historique ce qui lui est arrivé, mais il y a quelque chose de sacrificie­l dans son parcours. Elle a l’air de se donner à 200 %. J’ai envie de garder une échelle humaine. Et puis comment tu fais un deuxième album après un tel succès ? J’aime que les choses prennent leur temps. Tu fais quoi cet été ? (Rires) Je vais jouer tout l’été. Juillet, c’est un mois de musique, et en août je construis ma petite maison à la campagne. Je vais faire de la soudure, du bricolage, de l’électricit­é… en écoutant La Lambada. Je reprends fin août-début septembre, là je passe un cap. On commence à monter le show, la scénograph­ie, les lumières… Ça me fait un peu flipper. Pour le moment, j’ai fait quelque chose d’ultra austère, sans costumes. Là, j’ai envie que ce soit un vrai show. Je ne sais pas trop comment, je cherche. Se profession­naliser fait toujours un peu peur. Il y a une attente. Les gens achètent un ticket et puis peuvent se dire “Ouais, ce n’était pas si bien que ça, je n’ai pas trop aimé la troisième chanson.” La position que j’ai eue jusqu’à maintenant, c’est ce qu’il y a de plus exaltant parce qu’on n’attend rien de toi. Je n’ai pas envie de devenir une machine à liker ou pas liker. Je veux continuer à surprendre, que ça reste vivant.

Y a-t-il un musicien dont tu envies le développem­ent de carrière ?

Christophe. Son dernier disque est vraiment bien. Je le vois un peu en ce moment, on travaille sur un duo. Il est hyperdrôle, il connaît tout. On a bouffé avec les mecs de Justice, il parle synthé avec eux… C’est un jeune geek passionné, c’est beau. Ou alors Juliette Gréco. Je l’ai vu chanter il y a deux ans à Bourges. C’était tellement sublime de la voir à 90 balais chanter Déshabille­z-moi avec autant de classe et d’humour…

festivals le 12 juillet à Valence (Sur le champ), le 14 à SaintAubin-sur-Mer (Pete the Monkey), le 16 aux Francofoli­es de La Rochelle, le 17 à Hardelot (Festival de la Côté d’Opale), le 19 au Canon (Les Plages pop), le 31 au Festival de Carcassonn­e. en tournée à partir du 1er septembre (le 11 octobre à Paris, Cigale)

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