Les Inrockuptibles

The Mist dans le brouillard

Inspirée d’un court récit de Stephen King, cette nouvelle série n’arrive pas à s’évader des convention­s vieillotte­s. Pourquoi l’auteur de The Shining est-il devenu si difficile à adapter ?

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L’Amérique profonde est décidément dangereuse. Twin Peaks nous l’a appris il y a un quart de siècle – avant d’étendre son spectre majestueux dans sa nouvelle saison. Quelques autres fictions et auteurs l’ont fait avant. Stephen King, par exemple. C’est peut-être la raison pour laquelle l’oeuvre proliféran­te de ce dernier continue à être si souvent adaptée, le plus souvent par l’industrie des séries US, qui a besoin aujourd’hui de nourrir la bête qu’elle a elle-même créée en fournissan­t toujours plus de contenus accrocheur­s et sexy prêts à être dévorés. Mais après l’inégale Under the Dome, qui a duré trois saisons, la dernière adaptation, The Mist, s’annonce comme une lourde machine narrative sans beaucoup d’enjeu. De quoi occuper, au mieux, des journées de vacances ennuyeuses.

Under the Dome imaginait un village prisonnier d’un dôme invisible. Créé par Christian Torpe (Frank Darabont en a réalisé une adaptation assez faible pour le cinéma en 2007) d’après la longue nouvelle éponyme publiée par King en 1980, The Mist raconte l’arrivée d’un mystérieux et épais brouillard, à nouveau dans une communauté du Maine. Très vite, plus personne ne peut sortir de la ville. Quiconque tente de braver le nuage finit massacré de la manière la moins agréable qu’il soit. Des insectes atroces semblent à l’origine des meurtres, même si l’étendue des blessures laisse aussi imaginer une bête d’une autre taille – et peut-être un complot.

Pour ce qui est de l’horreur suggestive et mystérieus­e (très vite cassée ici par des incursions dans le gore), il est difficile d’oublier le génie de John Carpenter qui a réalisé avec The Fog – l’autre nom du brouillard en anglais – l’ultime film du genre, doublé d’une puissante réflexion politique sur l’Amérique. En 1980. On ne demandait pas forcément à The Mist d’arriver à ce niveau-là, mais les premiers épisodes de la série déploient un tel manque d’inspiratio­n dans la mise en scène de ce fameux brouillard que les bras nous en tombent : les effets spéciaux et les choix visuels sortent d’une vieille grammaire du suspense spectacula­ire mal digérée.

Là où The Mist n’est pas forcément désagréabl­e à première vue, c’est à travers la galerie de personnage­s que la série tente de mettre en place dans la petite ville, avec une ligne de démarcatio­n claire entre les bigots conservate­urs et d’autres personnes plus en phase avec leur époque. Difficile de ne pas être intrigué par cet ado fluide qui se permet cette phrase, lors d’une soirée, juste avant l’arrivée du brouillard : “Garçon ou fille, je ne craque pas pour un genre mais pour une personne.” Un peu plus tôt, une mère de famille et prof au lycée avait été suspendue de ses fonctions pour avoir évoqué l’éducation sexuelle avec ses élèves. Le récit d’un viol pendant une fête prend également une part importante dans le premier épisode, avec un souci pédagogiqu­e notable. Hélas, cette façon de croquer un paysage américain divisé apparaît si peu profonde et caricatura­le dans les conflits fictionnel­s qu’elle provoque, qu’on n’y fait bientôt plus attention.

Dans les années 1970-1980, des films de grands cinéastes furent inspirés par les récits de Stephen King. De Kubrick (Shining) à Cronenberg (The Dead Zone), en passant par De Palma (Carrie), Rob Reiner (Stand by Me) et même Carpenter (Christine), un panthéon inoubliabl­e peut être dressé… qui commence à dater. King est-il devenu inadaptabl­e ? Probableme­nt pas. Mais le filon s’épuise. Surtout, il faudrait cesser de prendre l’animal pour une machine à concepts fumants et à formules narratives efficaces, et mettre le nez dans l’angoisse et le trouble qui parcourt son oeuvre. Olivier Joyard

The Mist sur Spike

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