Les Inrockuptibles

Roms, en Italie

Un village, des jeunes désoeuvrés, le racisme anti-Tsiganes. Davide Reviati raconte la violence, l’apprentiss­age de la vie…

- Anne-Claire Norot

Guido fait partie d’une bande d’adolescent­s vivant à la campagne. Les jeunes se fichent du lycée et de leurs mauvais résultats scolaires, et pour tromper l’ennui, fument, jouent au billard, empruntent des voitures pour faire des virées au bord de la mer. A l’extérieur du village, dans une ferme en ruines, vit une famille de Tsiganes, dont l’étrange Loretta, jeune fille perturbée.

Pour raconter la vie de ce petit voisinage, situé dans une époque indéfiniss­able, quelque part entre les années 1950 et aujourd’hui, l’auteur italien Davide Reviati prend le point de vue de Guido, mêlant courtes scènes contempora­ines et flashbacks sur son enfance. On découvre ses souvenirs et ses regrets, les leçons de vie qu’il essaie de tirer de son héros John Wayne, mais également tous les espoirs confus de ces jeunes gens qui ne cherchent qu’à s’occuper au jour le jour, incapables de se projeter dans l’avenir. On voit les adultes, à la fois sévères et absents, faire rejaillir leur violence sur les enfants, les voisins, les animaux – violence qui se transmet d’une génération à l’autre. La cohabitati­on avec les Tsiganes est difficile, entre rumeurs, rancoeurs, et quelques tentatives fragiles de la part des jeunes – tsiganes et italiens – de tisser des liens. Tous ont en commun une vie rude et cette brutalité qui régit toutes les relations – Loretta en fera les frais. L’auteur raconte en parallèle, et de façon un peu didactique, la tragédie des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale.

De son dessin fluide, parfois proche de la gravure, Davide Reviati peint

le désoeuvrem­ent, la violence et l’amitié avec une grande subtilité. Il suggère les émotions plutôt qu’il ne les souligne, ne jugeant jamais ses protagonis­tes et insérant de beaux épisodes contemplat­ifs – le propos reste néanmoins dur et toujours crédible. Ses hachures, fines, donnent une impression d’urgence qui sied parfaiteme­nt à la tension du récit. Cette dynamique entre poésie et intensité est renforcée par sa constructi­on, succession de petits épisodes. Plus complexe qu’un simple roman graphique sur le passage à l’âge adulte, Crache trois fois, histoire de tolérance, d’amitié et d’altérité, est parfaiteme­nt intemporel­le.

Crache trois fois (Ici Même), traduit de l’italien par Silvina Pratt, 568 pages, 34 €

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