Les Inrockuptibles

Tourbillon­s amoureux

MARION FAYOLLE dissèque les rapports homme-femme avec une étourdissa­nte virtuosité narrative et graphique.

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JEUNE ILLUSTRATR­ICE TALENTUEUS­E,

Marion Fayolle travaille notamment pour le New York Times. Elle a publié en 2013 la très remarquée La Tendresse

des pierres, où elle revenait avec une grande subtilité sur la maladie et la disparitio­n de son père.

Dans Les Amours suspendues, elle décortique la mécanique du couple et des relations homme-femme. Au coeur du récit, un homme marié et obsédé par le besoin de plaire et qui, plutôt que de s’avouer séducteur, préfère croire qu’il est “sensible à la beauté féminine”. Autour de lui, dans un jeu de séduction où tout le monde a à perdre et à gagner, évoluent son épouse et trois autres femmes, objets successifs de son affection.

Répétant sans cesse qu’il aime sa femme, il “se laisse charmer”, sans jamais aller trop loin, en mettant en veilleuse ses relations au moment où elles pourraient se concrétise­r. Lorsque sa femme le quitte, il espère se consoler en réanimant ses vieilles flammes…

Avec une maîtrise éblouissan­te dans la narration et dans le dessin, Marion Fayolle crée une véritable comédie musicale, chorégraph­iée et orchestrée avec précision. Utilisant avec brio les possibilit­és de la bande dessinée, elle fait chanter et danser ses personnage­s. Gestuelle et placement des corps sont tout en grâce et justesse et la décomposit­ion élégante de leurs mouvements n’est jamais gratuite.En fonction de leurs sentiments,

les corps ondulent, tombent, se brisent en miettes, les têtes se séparent du tronc, les couleurs s’effacent ou réapparais­sent. Marion Fayolle emprunte aussi

au cinéma, à Eric Rohmer ou Alain Resnais. Ses personnage­s sont des acteurs, tous archétypau­x – le séducteur, la passionnée, la maternelle, la fragile… –, qu’elle manipule avec finesse et sensibilit­é. Elle les fait dialoguer, parler en aparté, chanter ensemble comme un choeur grec. La musicalité des mots, dans les dialogues comme dans les chansons, rythme le récit, qui virevolte et culmine dans un final joyeux et tourbillon­nant.

Cette légèreté n’empêche pas la réflexion – sur le couple, l’usure et la persistanc­e des sentiments, la conquête, le désir… – mais Marion Fayolle ne juge pas, ne donne pas de leçons. Avec empathie, elle observe, dissèque, et sait être malicieuse­ment cruelle, par exemple quand le héros, rabroué par ses anciennes conquêtes, leur demande de faire son éloge funèbre dans une pièce de théâtre qu’il a écrite. Une ode postmodern­e aux jeux de l’amour et du hasard. Anne-Claire Norot Les Amours suspendues Editions Magnani, 256 p., 35 €

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