Les Inrockuptibles

Déconstrui­re, disent-ils

Actif de 1966 à 1970, le groupe SUPPORTS/ SURFACES s’est employé à défaire les pratiques artistique­s. Au Carré d’art à Nîmes, une exposition témoigne de l’empreinte durable laissée par la dernière avant-garde française.

-

“J’AI ATTRAPÉ DES RIDES, MAIS LES OEUVRES, ELLES, N’ONT

PAS BOUGÉ”, constate devant ses toiles Noël Dolla. Au Carré d’art à Nîmes, nombre des artistes du groupe Supports/ Surfaces, que l’on a pris l’habitude de considérer comme la dernière des avant-gardes françaises, sont comme lui venus revoir leurs oeuvres de jeunesse.

Sous le commissari­at de Romain Mathieu, auteur d’une thèse consacrée au mouvement, une exposition d’envergure revient sur la genèse du groupe, ces années d’“effervesce­nce et de jubilation” de douze artistes (André-Pierre Arnal, Vincent Bioulès, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Toni Grand, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat) pour la plupart originaire­s du sud de la France – avec Nice comme point d’ancrage.

1966 à 1970 : quatre années coupées en leur milieu par Mai 68 et s’achevant par une consécrati­on, à savoir l’exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris qui inscrira le mouvement dans le marbre de l’histoire de l’art. “Le mouvement a profondéme­nt marqué le paysage artistique français, au point que la majorité des artistes ayant commencé à peindre dans les années 1980 ont été influencés par Supports/Surfaces,

explique Romain Mathieu. Leur reconnaiss­ance a été énorme et leur trace sur le paysage durable : certains ont été exposés à Beaubourg (une salle des collection­s permanente­s leur est par ailleurs dédiée) ; d’autres ont enseigné dans les écoles d’art.”

D’où un certain passage à vide pendant quelque temps ; d’où également, l’urgence de découvrir cette période encore méconnue, alors que tous les indicateur­s d’un grand retour en grâce de Supports/Surfaces sont là. Ainsi, cet été, la curatrice Marie Maertens identifiai­t les similarité­s de vocabulair­e entre les jeunes peintres américains de la Côte Est et les oeuvres historique­s du groupe lors de l’exposition Surface

of the East Coast au 109 à Nice ; tandis qu’à la Fiac, la galerie Ceysson & Bénétière choisissai­t de présenter sur son stand Daniel Dezeuze, Patrick Saytour et Claude Viallat.

Déconstrui­re l’héritage de la grande peinture, mettre en pièces le tableau de chevalet. Pour ces jeunes artistes tout juste sortis des Beaux-Arts, l’espace convention­nel du tableau n’avait plus de raison d’être. Contre la froide rhétorique de l’abstractio­n alors dominante avec l’Ecole de Paris, ils proposent un retour aux gestes matériels : l’oeuvre exhibe le processus de sa réalisatio­n. Des gestes répétitifs, qu’il s’agisse d’un tampon (Louis Cane), d’empreintes (Claude Viallat), de pliage (Noël Dolla) ou de la déconstruc­tion pure et simple du support, exhibé tel quel (Claude Viallat retourne son tableau pour en exposer l’envers ; Daniel Dezeuze expose le châssis sans toile). A Nîmes, le parcours inclut de véritables découverte­s, avec un grand nombre de pièces n’ayant jamais été montrées, ainsi qu’une mise en regard pleine de finesse avec le milieu intellectu­el dans lequel baignait le mouvement. C’est le cas des documents d’archives montrant les échanges avec le coeur pensant de la revue littéraire Tel Quel, mais aussi l’inclusion de pièces insolites : à l’image d’une sérigraphi­e d’Andy Warhol rappelant la proximité intellectu­elle et formelle de deux avant-gardes, unies dans la déconstruc­tion des cadres établis – chacun les siens, mais avec une fougue commune. Ingrid Luquet-Gad Supports/Surfaces – Les Origines, 1966-1970 Jusqu’au 31 décembre, Carré d’art-musée d’Art contempora­in, Nîmes

 ??  ?? Objet d’analyse d’André Valensi, 1969
Objet d’analyse d’André Valensi, 1969

Newspapers in French

Newspapers from France