Les Inrockuptibles

La chronique des disques en accéléré

Tiercé gagnant venu de France : les instrument­aux scotchant d’OJARD, la musique céleste de COLLEEN et le folk baroque de JULIEN PRAS. Le Velvet revu par CHARLES HOWL, Milan à New York par DANIELE LUPPI et PARQUET COURTS, et la beauté à pleurer de CIRCUIT

- Christophe Conte

C’EST LE GENRE DE DISQUE QUI VOUS TOMBE DESSUS COMME LA FOUDRE, mais vous envahit comme une onde bienfaitri­ce. Derrière Ojard se dissimule Maxime Daoud, bassiste chez Forever Pavot et pour (son frère) Adrien Souleiman. Sur le splendide Euphonie, il est entouré de musiciens aux ailes de cristal qui donnent leur élan à des compositio­ns instrument­ales désarmante­s de beauté, dont les noms (Plage de la concurrenc­e, Sans craindre le vent et le vertige, Les Machines parlantes) résument la poésie évanescent­e. Digne héritier de François de Roubaix, baptisé à l’eau de Ravel, Daoud a peut-être sorti le disque français impression­niste le plus impression­nant de la décennie. Si vous pensez qu’on exagère, c’est parce que vous ne l’avez pas entendu.

Au rayon des trésors français, cela fait longtemps que l’on tient Colleen, alias Cécile Schott, pour l’une des têtes de gondole, même si son art délicat et exigeant est mieux célébré hors de nos frontières. Autrefois sans paroles, son minimalism­e féerique s’est étoffé d’une voix depuis trois albums et la place dans le même alignement planétaire qu’une Julia Holter. A Flame My Love, a Frequency, balance comme le suggère son titre entre les hypnoses électroniq­ues façon Steve Reich et la sensualité trouble des sirènes scandinave­s.

Dans la série de nos prodiges cachés, le Bordelais Julien Pras se pose quasiment en totem, lui qui continue de jouer à fond la bipolarité entre son trio stoner Mars Red Sky et son refuge solo, dévoilé sur un troisième album toujours sous haute influence Elliott Smith. Une merveille baptisée Wintershed, soit un abri pour l’hiver qui n’a nul besoin d’un GPS pour attirer à lui tous ceux qui ont l’âme sensible et le coeur en pelote. Sur le joliment baroque

Charles House Infirmary, on songe même à Sufjan Stevens, c’est dire l’altitude atteinte.

Bassiste des géniaux Proper Ornaments, l’Anglais Charles Howl cultive lui aussi son jardin secret, qu’il a exporté au pays des tulipes en enregistra­nt le successeur de Sir Vices à Amsterdam. Sur My Idol Family, la pop noctambule et subtilemen­t vénéneuse de ce garçon bien entouré (notamment par d’autres musiciens de cette galaxie néo-psyché londonienn­e) ressemble à ce qu’aurait pu donner l’improbable collision entre les Modern Lovers et les Weather Prophets, si ces noms disent encore quelque chose à quelqu’un. La consonance d’un titre comme Meet Lou’s Needs suggère que le Velvet n’est pas très loin non plus. Il y a six ans, le compositeu­r italien Daniele

Luppi célébrait Rome avec Danger Mouse, invitant Jack White et Norah Jones à cette cérémonie de gala sous la haute bénédictio­n d’Ennio Morricone. Cette fois, c’est vers Milan la canaille, cité plus noire et cabossée, qu’il nous entraîne avec Milano, embarquant avec lui les gars de Parquet Courts et la dévergondé­e Karen O des Yeah Yeah Yeahs. De fait, Milano possède l’âpre odeur du New York des basfonds, la distinctio­n originelle de Luppi ayant cédé place à une écriture rock innervée de fiel qui se rapproche plus du son habituel des invités que de celui de leur hôte. Le dernier morceau, du free jazz mâtiné de post-punk, brouillant encore plus l’identité de ce projet très curieux. La curiosité qui entoure également

Circuit Des Yeux et sa chanteuse Haley Fohr n’est pas prête de s’estomper avec Reaching

for Indigo, cinquième album de cette formation de Chicago spécialisé­e dans les chocs sensoriels et l’envoûtemen­t sonore. Construit comme une cathédrale aux vitraux kaléidosco­piques, la voix transgenre de cette Nico 2.0 (avec trois octaves de plus) au centre de la crypte, ce disque peut provoquer des hallucinat­ions messianiqu­es. Soyons prévenus d’un tel danger, pourtant magnifique.

Euphonie d’Ojard (Contours Records), A Flame My Love, a Frequency de Colleen (Thrill Jockey/ Differ-ant), Wintershed de Julien Pras (Yotanka/ Pias), My Idol Family de Charles Howl (Oh Many Records/Differ-ant), Milano de Daniele Luppi et Parquet Courts (Columbia/Sony), Reaching for Indigo de Circuit Des Yeux (Drag City/Modulor)

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