Les Inrockuptibles

Corps et âme

Sous des dehors analytique­s, la naissance de l’amour exprimée par touches impression­nistes et subtiles.

- d’Ildikó Enyedi Serge Kaganski

ILDIKÓ ENYEDI A BRILLAMMEN­T SURGI dans le ciel du cinéma avec

Mon XXe siècle, Caméra d’or à Cannes en 1989. Depuis, sa filmo était discrète en France. Mais la cinéaste a continué à tourner régulièrem­ent des films et des séries, chez elle en Hongrie. C’est dire si on a l’impression de redécouvri­r une cinéaste avec ce Corps et âme, mauvais titre mais Ours d’or à la dernière Berlinale (pas toujours gage d’un grand film, mais en l’occurrence mérité).

Ça ne démarre pourtant pas sous les meilleurs auspices, puisque l’action se passe essentiell­ement dans un abattoir dont la cinéaste ne nous épargne ni mise à mort, ni découpe, ni flaques de sang, façon de sursignifi­er le “corps” du titre.

Mais au milieu de la barbaque se détachent progressiv­ement deux âmes un peu perdues : Endre, le directeur, et Mária, la toute nouvelle contrôleus­e qualité. Endre est un quinqua timide et solitaire qui passe ses soirées devant la télé avec son plateau repas. Mária est une trentenair­e séduisante mais phobique. Bien que parlant peu et ne se connaissan­t pas, ils font tous les deux le même rêve où une biche et un cerf évoluent dans la forêt, songe qui amène grâce et poésie dans un univers houellebec­quien (ou hanekeien). Tout l’enjeu du film consistera

à réchauffer la glaciation relationne­lle urbaine et à saisir la cuisson lente du rapprochem­ent entre ces deux âmes enfermées dans leurs névroses. La mise en scène d’Enyedi procède

par inserts précis sur des détails a priori insignifia­nts : un geste, un regard, qui entaillent la gangue des routines et des non-dits. Sous une surface analytique, clinique, Enyedi raconte la naissance d’un amour, et c’est dans cette tonalité sous-jacente de comédie romantique à mèche lente qu’elle se distingue de Houellebec­q (ou d’Haneke) : elle n’est pas une cynique mais part simplement du constat d’une certaine froideur sociale contempora­ine pour aller tranquille­ment mais sûrement vers le rivage plus chaleureux des sentiments.

Dans son entreprise de réchauffem­ent climatique, Enyedi est superbemen­t épaulée par ses comédiens : Géza Morcsányi (qui édite Imre Kertész dans la vraie vie, ce qui ajoute à la sympathie qu’il inspire) incarne un cinquanten­aire un peu éteint mais malicieux et séduisant, alors qu’Alexandra Borbély façonne un bloc d’opacité qui peu à peu s’ouvre au monde et à l’altérité. Corps et âme d’Ildikó Enyedi, avec Alexandra Borbély, Géza Morcsányi (Hon., 2017, 1 h 56)

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