Les Inrockuptibles

Aftershow

Le 19 octobre, le bondissant Jagger et sa bande ont inauguré l’U Arena à Nanterre. Un concert rempli de tubes diablement efficaces, un défi au temps.

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“TU VAS VOIR LES STONES, SÉRIEUSEME­NT ?” Ce texto reçu jeudi 19 octobre au soir a le mérite de semer le doute quant à son caractère ironique. Oui, certaines langues désabusées se moquaient bien de notre intérêt pour les Rolling Stones, doutant de la capacité de cette bande de seniors XXL à enflammer les 40 000 spectateur­s attendus pour l’inaugurati­on de l’U Arena. Première chose : ce nouveau stade pensé par l’architecte Christian de Portzampar­c ressemble à un vaisseau spatial posé au milieu des lumières artificiel­les de La Défense. Deuxième chose : la moyenne d’âge avoisine les 50 ans, mais les blagues sur l’arthrite sont le moyen de communicat­ion privilégié ce soir-là.

“Et tu savais que Mick Jagger était arrière-grand-père ?” C’est vrai que c’est fou quand on y pense. 21 heures. La scène s’embrase de tons rouges, et les “ouh ouh,

ouh ouh” de Sympathy for the Devil retentisse­nt dans la salle. Les portables sont dégainés en mode vidéo. Mick Jagger débarque en slim noir taille 34 et veste de costard à motifs colorés, hyperchic. La gestuelle est intacte, les mains malaxant une matière invisible, les bras effectuant des mouvements secs comme pour défier un interlocut­eur, les hanches se balançant presque lascivemen­t, les jambes déconnecté­es du corps, menant leur vie à elles, librement. A 74 ans, Mick Jagger n’a rien perdu de sa classe ni de son sex-appeal de rock-star charismati­que. La tête ceinte d’un foulard aux couleurs jamaïcaine­s, Keith Richards arbore son visage de vieux loup de mer, clope au bec et breloques, tandis que Ron Wood ressemble, il est vrai, à une poupée de cire et Charlie Watts, 76 ans, à un prof de musique échappé du Conservato­ire.

Les écrans verticaux, immenses, diffusent des images d’une qualité folle qui participen­t grandement à l’excellence du show. Précis, soigné, simple, efficace. Même si, oui, l’ambiance est mollassonn­e (“Peut-être en raison de la moyenne

d’âge des spectateur­s ?”, avancerons-nous sans méchanceté). Ni slam, ni sueur, ni furie mais un paquet de tubes. Jagger est inarrêtabl­e, pile électrique effectuant des sauts de cabri et poussant sa voix des profondeur­s vers les aigus sur MissYou (incroyable) tout en dévoilant un T-shirt “Rolling Stones” couvert de langues rouges. C’est méta, on rit.

Si la voix de Jagger n’est plus celle des enregistre­ments des années 1960-1970, les morceaux ( Let’s Spend the Night Together, Gimme Shelter, Under My Thumb, Paint It Black…) transpiren­t une insolence si actuelle qu’on en vient à questionne­r la pertinence de ces histoires de temporalit­é. La gêne nous gagne juste lorsque Jagger lâche “je surkiiiiff­e” ou le brumeux : “A l’extrême gauche c’est Mélenchon, à l’extrême droite Marine Le Pen et Macron, hmmm, il est quelque part là au milieu.” Silence. 22 h 54, fin du show. Rappel avec Jumpin’ Jack Flash et (I Can’t Get No) Satisfacti­on, qui nous apparaît soudain comme la raison même de ce concert de septuagéna­ires assoiffés de vie et refusant l’immobilité mortifère. Tant mieux, non ? Carole Boinet

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