LE VENT DE MAI
Un demi-siècle après, de nombreuses célébrations sont prévues : des livres, des films, des expositions… Et si, remise au goût du jour, la révolte cinquantenaire inspirait, au présent, de nouveaux rêves de liberté et de soulèvement ?
POUR S’EN PLAINDRE OU S’EN FÉLICITER, MAI 68 N’EN FINIT PAS DE HANTER
LES IMAGINAIRES POLITIQUES. Comme si l’opposition entre la nostalgie entretenue des hérauts d’une génération, du rêve à la poudre, et la critique conservatrice des valeurs libertaires promues dans une société en mal d’autorité structurait encore le champ politique. A l’occasion des 50 ans des événements de mai, célébrés à travers des livres, films et expositions à gogo, dont une rétrospective du photographe Gilles Caron, témoin privilégié, nous aurons moult occasions de mesurer le poids de cet héritage, dont beaucoup saluent la portée émancipatrice pendant que d’autres regrettent ses promesses inachevées.
Le procès en sorcellerie, à droite mais aussi à gauche, que subit Mai 68 depuis vingt ans pourrait pourtant s’apaiser grâce au recul de l’histoire – cinquante ans, cela commence à faire long – et au travail de plus en plus documenté réalisé par des chercheurs, comme Ludivine Bantigny, auteure en ce début d’année d’un livre qui fera référence,
1968, de grands soirs en petits matins (Seuil), nourri d’archives foisonnantes. Après Mai 68, “le travail, les métiers, la culture, l’âge, l’art, le corps et la sexualité, le temps même”, ont été repensés, rappelle justement l’historienne.
Mais, outre cette lecture apaisée dont il fera l’objet, le souvenir de Mai 68 semble pouvoir
réactiver un sentiment confusément enfoui dans les esprits fatigués par des décennies d’impuissance politique : le désir de changer la vie, la vraie obsession des insurgés de mai. Car ce que Mai 68 symbolise, c’est bien le spectre d’un autre avenir, la possibilité de faire de l’imagination une action. “Tout est politique”, disait-on alors, comme si la politique était une chose partagée, le bien commun de tous. C’est ce passé vivant, la force de cette promesse, finement analysés par Ludivine Bantigny, que la France de 2018 pourrait redécouvrir. Un peu fossilisée dans sa mythologie, cette page d’histoire ne pourra échapper à son roman-photo un peu daté qu’en invitant à le dépasser. Et dans ce dépassement même, peut-être sauronsnous nous rappeler que les soulèvements et les rêves se conjuguent aussi au présent.
Un demi-siècle plus tard, les événements de Mai 68, eux-mêmes séparés de vingt-trois ans seulement de la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme l’observe Jean-Christophe Bailly dans son évocation pénétrante du printemps 1968, Un arbre
en mai (Seuil, Fiction & Cie), appartiennent ainsi à l’histoire en train de se faire plutôt qu’à celle d’un roman national vidé de sa substance subversive. “L’air d’un temps soulevé par une tornade à la fois immense et légère”, que décrit Bailly, soufflera-t-il en 2018 ?