TY SEGALL Le mariage foutraque de la pop et du rock sale
Freedom’s Goblin Drag Citt/Modulor Qu’attendre encore d’un gars qui sort des albums à la chaîne ? Eh bien, l’attachant et bordélique Freedom’s Goblin par exemple.
IL Y A DES MOMENTS TRISTES
DANS LA VIE, et le fait de ne plus attendre grand-chose d’un artiste jadis adoré en fait partie. Voilà, les choses sont dites : la sortie du Freedom’s Goblin de Ty Segall pour la rentrée 2018 ne provoquait ni frissons, ni émoi, tout juste un vague “ah ?” lâché d’un air las. Blasés nous ? Jamais ! Il faut dire que le héros du garage californien des années 2010 lâche autant d’albums que le boulanger de petits pains vers 5 heures du matin. Un rythme effréné que l’on suivait jusqu’à présent avec ferveur, les mains jointes et le coeur bondissant, en proie à un amour véritable pour le petit frère de John Dwyer.
Et puis, la vie allant comme elle va, nous fûmes un peu irrités de le voir continuer à pondre des morceaux à vitesse grand V, sans relâche, nous inquiétant de leur qualité, de leur quantité, de leur destinée. Lui nous répondait à longueur d’interviews ne pas savoir comment occuper son temps autrement qu’avec une guitare en main, la tête bourrée de paroles (ou sur une planche de surf au large des côtes californiennes, mais c’est une autre histoire).
Et puis débarqua Freedom’s Goblin. La voix de Ty, intense, la guitare, furibarde, les mélodies, radicalement plus chantantes que sur ses grands albums garage ( Melted en tête). Ty s’éclate, et ça s’entend, quitte à s’offrir une valse rock sur The Last Waltz, une idée complètement ringarde chez n’importe qui mais qui explose chez lui.
Dix-neuf titres, sans grande cohérence, sinon celle du mariage de la pop et du rock sale, plein de sueur et de taches indescriptibles, peut-être un mélange de bière et de ketchup, les noces du coupletrefrain et de la transe électrique, voire à ce sujet le solo délirant de She. Sur Meaning, Ty invite sa femme, la photographe Denée Segall, à ressusciter les riot grrrl et le headbanging. Et puis finalement non, le voici qui s’offre une ballade à la Beatles sur la suivante, Cry Cry Cry, qui, avec un peu de fatigue dans les pattes, est à deux doigts de nous arracher de grosses larmes. L’un des plus beaux moments de cet album débordant d’émotions, foutraque et malgré tout attachant. Un peu comme Ty finalement. Carole Boinet