Les Inrockuptibles

Las Marimbas del infierno de Julio Hernández Cordón

Les tribulatio­ns d’un joueur de marimba au Guatemala, un docufictio­n trash et sublime.

- Vincent Ostria

ATTENTION, CHEF-D’OEUVRE DE L’ART BRUT ! Ce soi-disant documentai­re est une merveille. Soi-disant documentai­re, car si ses protagonis­tes et leur cadre de vie sont arrachés brutalemen­t au réel, la constructi­on du récit et les nombreuses péripéties appartienn­ent manifestem­ent à la fiction. Mais la trame mise en place n’a rien de linéaire et repose sur des ellipses à foison ; d’où une (jubilatoir­e) progressio­n narrative avançant par microchocs narratifs.

Le film tout entier tire sa forme et sa force d’un principe déceptif ; y contribuen­t le cadre soigneusem­ent approximat­if ou décalé, les événements parfois plats et/ ou inaboutis, et les coups de théâtre abrupts. Grosso modo, on suit les aventures de trois pieds nickelés guatémaltè­ques qui décident d’unir leurs maigres forces artistique­s en formant un groupe de heavy metal hautement improbable, Las Marimbas Del Infierno.

Tout le récit tourne autour d’un instrument, le marimba, sorte de gros xylophone, auquel Don Alfonso est viscéralem­ent attaché et avec lequel il anime des bals. Mais les engagement­s se font rares, et Don Alfonso entreprend, par l’entremise de son neveu, sorte de gnome punk, de monter (avec lui) ce groupe heavy metal, en s’adjoignant un vétéran légendaire du hard rock guatémaltè­que nommé El Blacko – un ex-sataniste devenu prédicateu­r dans une secte d’inspiratio­n hébraïque, qui est par ailleurs médecin.

Le film, qui tourne le dos aux préceptes des manuels de scénario préconisan­t le rythme et l’efficacité, tire son style génial de l’atonie de ses personnage­s ainsi que de leurs aventures, dont le leitmotiv est l’échec. Parfois, il ne se passe rien et tout repose sur le bluff du hors-champ (un personnage lance une pierre sur quelqu’un qu’on ne voit pas). Non seulement c’est désopilant, mais aussi émouvant, comme toutes les oeuvres réussies sur des freaks, comme toute les histoires absurdes dont Beckett est le parangon (ou l’Estragon).

Cette primitivit­é formelle et narrative est un vrai bain de jouvence par rapport aux fictions homogénéis­ées d’Europe de l’Ouest et d’Hollywood. Le cinéma roumain a montré la voie d’un naturalism­e cru et sans filtre. De même, nombre de films latino-américains récents abordent des territoire­s accidentés de la fiction en flirtant souvent avec le trash. C’est au prix de telles turbulence­s esthétique­s que le cinéma peut se renouveler. A ce titre, cette oeuvre en apparence bancale, insituable entre documentai­re et fiction, et flirtant avec l’amateurism­e, est un trésor. Las Marimbas del infierno de Julio Hernández Cordón (Gua., Mex., Fr., 2010, 1 h 14)

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