Les Inrockuptibles

Belinda de Marie Dumora

Le portrait d’une fille de l’est de la France, filmée de 9 à 23 ans. Un Boyhood documentai­re.

- Serge Kaganski

ON POURRAIT ENTRER DANS “BELINDA” PAR LE BIAIS D’ANTOINE

DOINEL. Comme Truffaut avec Léaud, Marie Dumora a filmé Belinda, une jeune fille yéniche de l’est de la France, à divers âges de sa vie. Et comme Doinel, Belinda a connu une enfance difficile avec des passages en foyers. L’équivalenc­e s’arrête là : Doinel est un personnage de fiction (même s’il porte aussi une trace documentai­re sur Léaud), parisien, qui s’embourgeoi­se après l’adolescenc­e, alors que Belinda est une personne réelle, qui évolue aussi mais sans sortir de sa condition prolétaire.

Marie Dumora l’a saisie à l’âge de 9 ans, quand elle a été séparée de sa soeur pour être placée dans une autre famille d’accueil ( Les 400 Coups ?), puis à 15 ans, quand elle refusait de travailler dans un magasin de chaussures ( Baisers volés ?), et enfin à 23 ans, quand elle désirait à tout prix se marier avec son amoureux ( Domicile

conjugal ?). Dans ces trois moments, on voit aussi la famille, le père qui était en prison puis en sort, le fiancé qui est à son tour enfermé derrière les barreaux…

Belinda est avant tout un travail sur le passage du temps, concentran­t en un seul film l’évolution d’une personne (les transforma­tions de son visage, son corps, sa situation, ses pensées…) sur quatorze années (un peu comme dans Boyhood de Richard Linklater). C’est aussi un document sur ce qu’on a appelé “la France invisible”, celle de ces familles qui survivent tant bien que mal (surtout mal) dans la précarité financière, sociale, culturelle, sans parler de la déstructur­ation inhérente à tous les passages par la case prison ou foyer.

Le regard de Dumora n’est pas misérabili­ste pour autant. Sans évacuer le contexte quart-mondiste, elle insiste sur la vitalité de ces personnes, enregistra­nt leur énergie, leurs rêves, leur poésie, leur être-au-monde singulier, leurs projection­s dans le futur malgré tout. Si bien que la personne Belinda, naturellem­ent cabotine, extraverti­e, devient tout autant un personnage de cinéma, une starlette de l’écran, une héroïne contempora­ine.

Belinda est techniquem­ent un documentai­re, au sens où il enregistre les vraies vies de vraies gens, mais sa constructi­on, son montage, ses choix de personnage­s et de situations finissent par lui insuffler une véritable dimension romanesque. Magnifier des êtres du bas de l’échelle sociale sans rien trahir de leur condition ni de leur vérité, c’est une forme d’engagement politique, éthique, et surtout un très beau travail de cinéaste. Belinda de Marie Dumora (Fr., 2017, 1 h 47)

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