Les Inrockuptibles

Downsizing d’Alexander Payne

Un jeune couple d’Américains moyens accepte, comme d’autres, de se faire rétrécir. Derrière l’habillage sci-fi, une réflexion sur la décroissan­ce.

- S. K.

ENTRE CLICHÉ ET RÉALITÉ, on sait que les Américains voient tout en gros : leurs villes, buildings, maisons, bagnoles, frigos, films, portions de pop-corn, et aussi la connerie de (certains de) leurs présidents. Le premier mérite de Downsizing consiste à inverser cette tendance au big en pensant petit. L’aspect politique de cette énième relecture des contes de Gulliver n’est pas qu’une vue de l’esprit. Le postulat de départ d’Alexander Payne est que la trouvaille scientifiq­ue qui permet de réduire les humains à la taille de souris a pour but de résoudre les problèmes actuels de la planète : surpopulat­ion, épuisement des ressources, pollution. La décroissan­ce est ici à prendre dans tous les sens du terme (économique, biologique, écologique…). Une scène frappante l’illustre au début : un scientifiq­ue tient un sac-poubelle en précisant qu’il s’agit des déchets annuels d’une population de 100 000 individus… réduits.

Paul et Audrey Safranek (Matt Damon et Kristen Wiig, très bien), jeune couple moyen d’Omaha, Nebraska, sont donc prêts à tenter l’expérience : se faire rétrécir et aller vivre dans la première communauté de nains écolos qui vient d’être créée et que les pubs vendent comme un paradis – bon, un paradis version consuméris­te américaine, c’est-à-dire un mix de suburbia et de Center Parcs en modèle réduit. Premier élément notable, les effets

spéciaux impeccable­s, particuliè­rement efficaces quand coexistent à l’image grands et petits. Notable, mais finalement pas tant que ça au vu de l’état actuel des technologi­es. Payne en a sans doute eu conscience et il apparaît rapidement que le vrai sujet du film n’est pas l’effet visuel de la réduction mais l’analyse des utopies politiques. Dans le supposé paradis du small, les économies d’échelle sont sans doute réalisées mais toutes les tares de la société des “grands” y sont reproduite­s, notamment les barrières de classes et d’ethnies. Paul fait aussi la connaissan­ce d’une sorte de gourou du downsize qui veut emmener ses adeptes créer une autre communauté plus radicale, séparée du reste des humains, sorte de nouvelle arche de Noé visant à refonder l’humanité dans son coin. Ou quand l’utopie écolo tourne au délire sectaire.

Sous son emballage de fable sci-fi distrayant­e, Downsizing déploie une réflexion sur le concept de décroissan­ce assortie d’une critique sérieuse de l’american

way of life, de son consuméris­me niais et de son séparatism­e ethnique et social. Petit ou grand, le confort climatisé des classes moyennes est un anesthésia­nt qui rend difficile la prise de conscience du fonctionne­ment inégalitai­re du monde. Le film rend compte de ce lent éveil, et cet effort n’est pas petit.

Downsizing d’Alexander Payne, avec Matt Damon, Kristen Wiig, Christoph Waltz, Hong Chau (E.-U., 2017, 2 h 16)

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