Les Inrockuptibles

Le maître des fantasmes

Humour noir et pulsions intimes se mêlent sous le trait de GUIDO BUZZELLI, génie italien de la BD dont l’intégrale des oeuvres est en cours de réédition.

- Vincent Brunner

UN DESSINATEU­R PART À LA MER trouver l’inspiratio­n et, une vingtaine de pages plus loin, constate son échec, après avoir pourtant croisé une jeune femme magnétique et un démon pétomane. Plus loin, le même, interrogé par trois mystérieux visiteurs nocturnes, leur explique combien ça l’amuse d’être “un personnage d’encre et de papier”. Dès les années 1970, dans Annalisa

et le diable ou L’Interview, Guido Buzzelli a montré que l’autofictio­n pouvait être, plutôt qu’un exercice nombrilist­e, un incroyable espace fantasmati­que où soulever la question de la création et celle du statut de l’artiste. Peintre passionné par l’autoportra­it, passé à la bande dessinée pour pouvoir s’exprimer, il n’a cessé de se mettre en scène, de se torturer sans s’épargner.

Dans Le Labyrinthe, oeuvre d’anticipati­on d’un humour noir,

il incarne ainsi l’imberbe Marcel Sforvo projeté dans un monde en déliquesce­nce. L’anagramme de Zil Zelub est encore plus transparen­te : c’est lui le personnage déconstrui­t dont les membres s’échappent, symbolisan­t ses angoisses et son passé (une enfance sous Mussolini).

Repéré et publié en France par Wolinski qui louait ses histoires “inracontab­les autrement qu’en bandes dessinées”, admiré par Franquin, repris il y a peu par Blutch dans

Variations, Guido Buzzelli a procuré un électrocho­c lors de son irruption il y a plus de quarante ans.

Michel-Ange des cauchemars, capable de représente­r avec force et vivacité tout ce qui bouillonna­it dans sa tête, ce grand maître pouvait rendre réaliste et crédible l’impensable, utilisait la métaphore graphique sans limite. Pessimiste forcené, il avait le bon goût de créer des farces pour rire de ses visions. Celles-ci, même prises hors contexte (l’Italie des 70’s) restent stupéfiant­es et on a souvent l’impression d’halluciner devant ses planches pleines de vie et de folie.

Référence de ses pairs, Buzzelli est forcément peu connu du public d’aujourd’hui en raison d’une bibliograp­hie en voie de disparitio­n. Ouverte par ce splendide premier volume, la série de rééditions (six sont prévues) des Cahiers dessinés doit inverser la tendance et remettre Buzzelli à sa place – très haut.

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OEuvres 1 (Les Cahiers dessinés), 224 p., 29 €

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