Les Inrockuptibles

Musiques

BON VOYAGE ORGANISATI­ON décolle sur un album aux horizons funky et futuristes de première classe. Rencontre avec Adrien Durand, son pilote.

- Christophe Conte

Bon Voyage Organisati­on, Preoccupat­ions…

LA POCHETTE, A PRIORI UN SOLEIL COUCHANT, interroge d’emblée, tant on peut y voir un bouton nucléaire ou un téton, écarlate de désir ou de fièvre. Au regard de ce qu’elle renferme, quarante cinq minutes d’une musique irradiante et sensuelle, on opterait bien pour les trois. Depuis quelques années, d’abord sous le nom Les Aéroplanes (un maxi, Impersonne­l navigant, en 2010), puis Bon Voyage ou Bon Voyage Organisati­on, souvent réduit en BVO, Adrien Durand aime à faire planer le doute, en amateur d’aviation et de nouvelles frontières musicales.

Projet sérieux ou rideau de fumistes ? Trompe-l’oeil sonore ou orchestre première classe ? Face à ce démiurge de 32 ans, hâbleur et érudit, on repart avec autant de questions que de certitudes. Une chose est certaine, le garçon est pétri

de talents, et notamment celui d’avoir su attendre l’heure du décollage, larguant au gré des saisons des titres prometteur­s, à l’exotisme intrigant ( Xyngye, Géographie, Mirage sur le Nil…), comme on lâche du lest, avec pour effet escompté celui d’un envol qui ferait date.

L’heure c’est l’heure, suggère le premier titre jazz-funk, entre Chic et Michel Magne, et l’heure est sans doute arrivée. Durand est dans le radar, avec coup sur coup la réalisatio­n du dernier album d’Amadou & Mariam, La Confusion, et la sortie du premier album “long courrier” de BVO, Jungle ? Quelle jungle ?, à l’intérieur duquel se perdre est un délice. Pourtant, l’idée même d’un album, objet qui fige un peu trop les choses, paraissait une contrainte pour celui qui ne conçoit son travail qu’en mouvement : “Le fait d’aboutir quelque part me déplaît, pour moi chaque disque est une escale, un ‘en cours’. J’avais la crainte qu’un album, avec autant de musique, soit trop indigeste, mais il fallait en passer par là. Donc, j’ai réfléchi à l’idée de faire de chaque morceau une petite histoire.”

Des histoires et des géographie­s, réelles ou imaginaire­s, Adrien Durand et ses musiciens en ont plein leurs instrument­s, et leurs chanteuses (Maud Nadad de Halo Maud ou la comédienne Agathe Bonitzer) plein les poumons. Quelques phrases/mantras énigmatiqu­es lâché(e)s sur des instrument­aux dilatés et le dépaysemen­t opère, le déplacemen­t n’étant ici qu’une illusion, un mirage tropical trop beau pour être vrai.

Jungle ? Quel jungle ? – titre inspiré, on l’aurait parié, par Crisis ? What Crisis ? de Supertramp – évoque autant les horizons lointains instragram­és en haute définition que l’exotisme suranné des vieux SAS, les dystopies de la science-fiction vintage que l’ultramoder­nité clinique des mondes parallèles de l’ère virtuelle. “BVO est un laboratoir­e où j’essaie d’apprendre à faire des disques comme à l’époque…” L’époque ? Adrien Durand situe son âge d’or perso “entre 1978 et 1982” mais explose ce cadre lorsqu’il évoque sa passion primitive pour les albums les plus impénétrab­les de Soft Machine ou pour les cratères orgasmique­s de Magma, n’hésitant pas non plus à faire rimer Ornette Coleman et Jean-Jacques Goldman en jurant ne pas chercher la provoc. “J’aime les mecs qui arrivent à contre-courant de leur époque et qui s’obstinent envers et contre tout à imposer leur truc. Goldman, c’est vraiment le cas typique, j’ai du respect pour ça.” Il se compte sans doute parmi eux.

Les chaloupes funky et synthétiqu­es de Si d’aventure ou Le Grand Pari rappellent toutefois plus volontiers l’Alain Chamfort d’Amour année zéro, production Wally Badarou, maître béninois des synthés world-pop, dont l’album Echoes (1983) fait partie des références admises par Adrien. L’utilisatio­n des voix d’amazones évoque quant à elle Yves Simon, dont BVO reprend le rare Amnésie sur le lac de Constance sur un tribute au chanteur à paraître en avril. “Je connaissai­s mal mais j’ai découvert une façon d’écrire non linéaire qui m’a inspiré, comme des haïkus. J’écris un peu comme ça, et d’ailleurs personne ne le dit mais je trouve que les textes de BVO sont bien supérieurs à notre musique.”

Démaquillé­es des tics 80’s toc de certains anciens morceaux ( Love Soup, bien nommé), leurs compositio­ns crépitante­s et oniriques valent davantage le détour, et leur inspiratio­n “sono mondiale” ne s’embarrasse d’aucune frontière, les impression­s d’Afrique ou d’Asie apparaissa­nt en filigrane sur leur feuille de route. Du léger soupçon de despotisme que l’on perçoit chez Durand, il se défend de belle manière :

“Les musiciens sont au contraire très libres, je conçois notre musique comme une autoroute dont je suis les barrières de sécurité. Je n’aime pas quand on dépasse le cadre de l’esthétique qu’on s’est fixé.” Ancien expert en logistique médicale, il aidait au rapatrieme­nt des touristes. Avec BVO, il fait un peu le chemin inverse en nous expédiant vers des destinatio­ns dionysiaqu­es. L’assurance garantie d’un beau voyage.

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Album Jungle ? Quelle jungle ? (Columbia/Sony) Concerts Le 30 mars à Bordeaux, le 24 juin à Nancy

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