Les Inrockuptibles

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Dans A WAY OUT, qui se joue obligatoir­ement en duo, deux détenus s’évadent de prison. On s’est fait une partie avec Josef Fares, son créateur.

- Erwan Higuinen

A Way out, le jeu avec lequel on s’évade à deux

“ESSAYEZ D’Y ALLER À PLEINE VITESSE. MAINTENANT : GO, GO, GO !” Au moment de s’engager en voiture sur ce pont grouillant de policiers armés, on n’en mène pas large. Il faut dire que le quadragéna­ire enjoué assis à nos côtés est le créateur de A Way Out et que l’on tient chacun une manette puisque son nouveau jeu, dont les héros sont deux hommes qui s’évadent de prison, se pratique uniquement à deux, devant la même console ou via internet. C’est très inhabituel. Mais Josef Fares n’est pas un game designer comme les autres.

Difficilem­ent imaginable en France, son parcours peut être vu, au choix, comme une anomalie ou comme un signe des temps. Avant de devenir un concepteur de jeux en vue, auteur du très beau Brothers: A Tale of Two Sons en 2013 et désormais de A Way Out, ce Libanais d’origine, venu vivre en Suède avec ses parents quand il avait 10 ans, fut un réalisateu­r de cinéma. Et s’il n’est pas très connu en France où seuls Jalla ! Jalla ! (2001) et Cops (2003) ont été distribués, c’est bien différent en Suède. “Mon dernier film a eu énormément de succès. Ce n’est pas comme si j’avais quitté le cinéma sur un échec, explique-t-il. Mais j’ai toujours été passionné par les jeux. Pour moi, il est incroyable d’arriver chez quelqu’un et de découvrir qu’il n’y a pas de console. C’est comme s’il n’y avait pas de toilettes. A un moment, j’ai eu la chance de pouvoir faire une demo, puis une autre, puis j’ai fait Brothers et beaucoup de portes se sont ouvertes. En Suède, on me demande sans arrêt de revenir au cinéma. Si la bonne occasion se présente, je ne l’exclus pas, mais, pour l’instant, je me concentre sur les jeux. Et j’adore ça.”

Brothers était une sorte de conte interactif, une épopée touchante dans un monde magique où l’on croisait trolls et griffons en dirigeant deux garçons qui cherchaien­t un remède à la maladie de leur père. Proche de Ico de Fumito Ueda, Brothers se distinguai­t par sa façon d’assigner les mouvements de chaque

frère à l’un des sticks de la manette.

Il en devenait cette chose étrange : un jeu que l’on pratiquait moins seul qu’en coopératio­n avec une autre partie de nous-même.

A Way Out, que soutient le géant américain Electronic Arts, reprend le principe du duo de personnage­s mais, cette fois, impose donc de jouer à deux. Et si les modes “coop” sont devenus un passage obligé pour les gros jeux, c’est beaucoup plus exceptionn­el dans un titre aux ambitions narratives aussi marquées. Dont l’un des éléments les plus piquants devrait être le rapport entre les événements à l’écran et ce qui se passe sur le canapé au même moment. “Souvent, vous devez prendre des décisions qui ne sont pas là pour changer l’histoire mais pour nourrir la relation entre les personnage­s. Il faut donc en discuter ensemble. On constate d’ailleurs que les gens ne se parlent pas beaucoup au début, mais que peu à peu, alors que les personnage­s le font de plus en plus, ils s’y mettent aussi.”

D’une séquence à l’autre, Josef Fares nous entraîne d’une fuite nerveuse à une partie de pêche, avant une nouvelle scène d’action dans un hôpital où, abandonnan­t l’écran splitté, les courses des deux anciens taulards se succèdent, reliées par des mouvements de caméra d’une sidérante virtuosité. Un reste du passé de Fares ? “Quand on me demande ce que j’ai apporté du cinéma, je réponds que c’est la certitude que les films sont des films et les jeux, des jeux. Ils peuvent s’influencer, mais ce sont deux médias bien différents.”

Et en la matière, il a des conviction­s. Comme celle qu’il vaut mieux un jeu court et varié qu’un long qui se répète (même si “c’est un peu fou en termes de production : vous passez énormément de temps à mettre au point des mécaniques qui ne vont servir qu’à un endroit”). Ou que la sacro-sainte “rejouabili­té” est un critère très discutable quand “la plupart des gens ne finissent même pas les jeux une fois”. Et si la longueur modeste (“sept à huit heures”) de A Way Out ou l’obligation de s’y mettre à deux dissuadaie­nt certains de se lancer ? “Je m’en fiche. Si vous trouvez ça trop court, allez jouer à autre chose.

Et si le jeu se vend moins, ce ne sera pas la fin du monde.” Qu’il existe, et que son auteur ait encore “beaucoup d’idées pour la suite”, est déjà une très bonne nouvelle. A Way Out (Hazelight Studios/Electronic Arts), sur PS4, Xbox One et PC, environ 30 €

“Vous devez prendre des décisions pour nourrir la relation entre les personnage­s. Il faut donc en discuter ensemble”

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