Les Inrockuptibles

L’art de la planque

- Fabienne Arvers

Rien de tel qu’une disparitio­n programmée pour régler une bonne fois le problème des réfugiés. C’est sur ce thème imposé que CHRISTOPH MARTHALER décrit avec humour le repli sur soi en lieu et place d’accueil des réfugiés.

CE QU’ON A SOUS LES YEUX,

ON NE LE VOIT PAS. Mais que l’on dise monstre du Loch Ness ou Yéti et l’imaginatio­n part en vrille. Alors, le jour où Matthias Lilienthal, le directeur du Münchner Kammerspie­le, a cru bon de passer une commande sur le thème des réfugiés à Christoph Marthaler, il ne pouvait s’attendre qu’à une fantasmago­rie plus vraie que nature, mais non moins surréalist­e, que le réel qui l’inspire.

Tiefer Schweb est au Suisse Marthaler ce que “Nessie” est au Loch Ness : un monstre – et ici un centre de migration animé par des “politicien­s inutiles” qui doivent gérer la situation compliquée des migrants, plongé au point le plus profond du lac de Constance, le bien nommé Bodensee, situé à la frontière de l’Autriche, de l’Allemagne et de la Suisse.

Inutile, il n’en est pas moins actif et prend sa mission très au sérieux, même si les termes ne sont pas clairs, le règlement à inventer et ses compétence­s réduites à un abécédaire hilarant dans la démonstrat­ion de son inanité.

Tout de bois lambrissé, le bathyscaph­e de Tiefer Schweb est pourvu d’un périscope qui sert tour à tour de dépotoir, de lieu de circulatio­n et de point de chute pour l’homme-grenouille qui vient donner des nouvelles du cauchemar qu’est devenu le monde, peuplé de créatures fantasques tels l’homme pyramide ou l’homme requin dont l’évocation fait trembler les parois de leur refuge.

Ces politicien­s s’accordent magnifique­ment à chanter entre deux tours de table un répertoire élastique qui relie Bach, Mozart, Procol Harum et Simon & Garfunkel, la teneur de leurs discours maintient toujours à une aimable distance philosophi­que toute possibilit­é de traduire concrèteme­nt l’art et la manière d’accueillir, intégrer et couler dans la masse l’afflux de réfugiés. Des emprunts à Jacques Derrida, Martin Heidegger, Franz Kafka, Henri Michaux et Emanuel Schikanede­r y côtoient d’autres faits à Herbert Achternbus­ch, auteur et réalisateu­r munichois anarchosur­réaliste. Ils s’insèrent avec bonheur dans le dialogue de sourds de ce comité qui n’a bientôt à coeur que d’organiser la mise à l’épreuve des “entrants” sur les principes de base de la culture bavaroise. Par la loi de la saucisse dont la recette se doit d’être connue par coeur, la bavarianis­ation exige une démonstrat­ion de danse et donne lieu à un défilé de costumes extravagan­ts qui finiront jetés au feu.

Quant au centre de migration, il se transforme bientôt en camp retranché sous la houlette d’un constructe­ur fou, et le naufrage de la mission apparaît in fine comme le seul élément raisonnabl­e d’un projet lesté de tant d’impuissanc­e qu’il ne pouvait que couler corps et biens et disparaîtr­e sans laisser de traces. Tiefer Schweb Mise en scène Christoph Marthaler. Au festival Programme Commun, les 23 et 24 mars au Théâtre Vidy-Lausanne

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