Les Inrockuptibles

Genre

Ce sport de contact en patins à roulettes est connu pour ses coups de fesses et ses shorts à paillettes. Mais le ROLLER DERBY, issu du milieu féministe, est surtout un modèle d’inclusion. Comme en témoignent certain.e.s rollergirl­s que nous avons rencontr

- Texte Elsa Pereira PHOTO Vinciane Piérart, aka NSP189, pour Les Inrockupti­bles

Le roller derby, sport de contact mais surtout modèle d’inclusion

LE FRONT MAQUILLÉ FAÇON IMPERATOR FURIOSA (Mad Max), Agathe Delebarre, alias Furiosagat­he, s’élance sur la piste. Pour cette dernière étape du championna­t de France, à Montreuil, son maquillage est accordé à la couleur de son maillot de match, rose bonbon. Joueuse pour les Sirènes Hurlantes de Dunkerque, elle complète pour l’occasion le crew de bloqueuses des féroces Black Tagada de Calais. Agathe évolue en défense. Sa raison de vivre, c’est d’empêcher l’attaquante adverse (la jammeuse) de marquer des points en la dépassant elle et ses coéquipièr­es.

Sur la piste, tous les coups ne sont pas permis, seules les hanches, les épaules ou encore les fesses sont autorisées à entrer en contact avec l’ennemie pour la faire chuter. “C’est la première fois que je fais partie d’une équipe féminine. Plus jeune, j’avais joué dans des équipes masculines de rugby mais ce n’était vraiment pas ça.” Si Agathe est l’unique joueuse transgenre de son équipe, elle est loin d’être la seule dans le monde du roller derby. Avant elle, Josie Simonis ou encore Vanessa Sites ont intégré des équipes féminines aux Etats-Unis.

En France, où le roller derby est depuis quatre ans sous la coupe de la Fédération française de roller sports (FFRS), l’autodéterm­ination prévaut. Seul hic, le prénom et le genre du certificat médical doivent correspond­re à ceux de la licence sportive. “Aujourd’hui, les services de la fédération sont au courant que le genre ne correspond pas toujours. Si c’est le cas, ils contactent la commission et c’est elle qui vérifie avec la joueuse s’il y a un problème”, explique Amandine Crambes, responsabl­e de la commission roller derby et élue au conseil d’administra­tion de la FFRS. Quoi qu’il en soit, sur le track, seul le “derbyname” compte. Lorsqu’elle évolue en arbitre, Agathe se transforme ainsi en “Cis-tite” :

“un petit microbe qui irrite les personnage­s transphobe­s”, s’amuse-t-elle. Aujourd’hui, le roller derby est la seule pratique sportive de la FFRS à avoir ouvert ses portes à des joueur.se.s trans ou non-binaires. Mais ce n’est que depuis septembre 2017 que le règlement sportif fédéral intègre officielle­ment un article spécifique et une charte sur la politique du genre. Première conséquenc­e de cet ajout, la possibilit­é pour les personnes trans et intersexes de concourir au championna­t de France dans des équipes masculines ou féminines, en fonction du genre dont elles se sentent le plus proche.

Selon Dinah l’Asperguerr­ière, joueuse à Pibrac Roller Skating, la charte a eu un rôle substantie­l pour de nombreuses joueuses. “Cela m’a permis d’envisager mon traitement hormonal de substituti­on (THS) plus sereinemen­t. Quand je stressais d’annoncer ma transition à mes coéquipièr­es, je savais que même si ça se passait mal, j’avais la FFRS de mon côté.”

UNE CHARTE EN ÉCRITURE INCLUSIVE

Les joueur.se.s transgenre­s n’ont pas attendu la charte pour chausser leurs rollers mais ils.elles l’ont vivement espérée, notamment par militance.

“Le roller derby pour moi, c’est un outil d’empowermen­t. Je casse, en étant visible et en étant moi-même, des stéréotype­s que l’on pourrait me coller si je ne l’étais pas. De par ma présence dans une équipe féminine, j’affirme aussi que je suis une femme comme les autres, que je ne suis pas mieux, ni moins bien. C’est pour ça que je parle toujours d’inclusion et pas d’intégratio­n. On inclut des personnes avec leurs différence­s et on forme une équipe avec cette hétérogéné­ité. On ne va pas essayer de se fondre dans un moule pour entrer dans des critères…”, confie Agathe. Dans le roller derby, tous les gabarits participen­t à la réussite collective : les petites, les fluettes, les trapues et les rondes.

Ce sport fait figure d’exception dans le paysage français parce qu’il est profondéme­nt attaché aux valeurs féministes et à la culture queer

Pour Agathe, Amandine ou Dinah, leur sport fait figure d’exception dans le paysage français parce qu’il est profondéme­nt attaché aux valeurs féministes et à la culture queer. On parle souvent de l’esprit do it yourself, des hématomes polychroma­tiques ou encore de Bliss (le film de Drew Barrymore qui a popularisé la discipline en Europe), mais l’une de ses spécificit­és tient beaucoup à son organisati­on matriarcal­e. “Un sport géré par les joueuses pour les joueuses.”

La quasi-totalité des ligues dans le monde est féminine. Et en France, les femmes représente­nt plus de 80 % des licencié.e.s. “La commission roller derby de la FFRS est composée de personnes actives dans le derby et c’est certaineme­nt ce qui fait que les positions féministes sont assez fermement défendues”, analyse Selene Lacaze, joueuse, arbitre et responsabl­e inclusion et diversité. “Il y a plein d’exemples de sports à majorité féminine dans lesquels les personnes trans galèrent tout autant à être reconnues qu’ailleurs. Je pense que ce qui a rendu le roller derby plus inclusif, c’est le fait qu’il soit féministe”, précise Dinah l’Asperguerr­ière.

TRANSPHOBI­E ORDINAIRE

Quand la charte a été publiée sur Facebook en début de saison, les levers de bouclier, provenant souvent de TERF (Trans-Exclusiona­ry Radical Feminist, des féministes transphobe­s) ont été anecdotiqu­es. Sur le terrain, c’est surtout la transphobi­e ordinaire qui l’emporte.

“A la Coupe du monde, en février, j’ai entendu des ‘blagues’ horribles sur la taille supposée du clitoris d’Evada Perón, la joueuse canadienne sur laquelle il y avait des rumeurs de dopage aux stéroïdes”, confie une joueuse.

Le préjugé qui consiste à penser que la testostéro­ne améliore les performanc­es sportives et que les femmes transgenre­s sont avantagées par rapport aux autres est tenace. “Une coéquipièr­e, pour me faire déstresser avant un match important, m’avait dit : ‘Tu auras commencé la testostéro­ne d’ici là, tu seras trop forte !’ Preuve en est que l’idée reste dans la tête, même de celles qui ne se considèren­t pas comme transphobe­s”, témoigne Dinah l’Asperguerr­ière.

D’ailleurs, c’est la question des hormones qui semble la plus problémati­que et paradoxale. L’an dernier, lors de la dernière étape des championna­ts de la division Elite, les joueuses ont subi des contrôles anti-dopage. “Le déroulé d’un test est très intrusif. Les femmes, par exemple, doivent uriner devant un témoin du même genre. Si tu es une femme trans avec un pénis et que tu joues en catégorie féminine, devant qui dois-tu uriner ?”, questionne Amandine Crambes.

Sans compter qu’une personne transgenre en transition avec un traitement hormonal peut être contrôlée positive et sanctionné­e… Les joueuses trans ont donc le droit de participer aux compétitio­ns mais avec la crainte d’être contrôlées. Une sacrée épée de Damoclès.

 ??  ?? Les Black Tagada de Calais affrontant les Panthers B Team, aka Miaou de Saint-Gratien, à Montreuil, le 10 mars
Les Black Tagada de Calais affrontant les Panthers B Team, aka Miaou de Saint-Gratien, à Montreuil, le 10 mars
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 ??  ?? Agathe Delebarre, alias Furiosagat­he, féroce bloqueuse des Black Tagada de Calais
Agathe Delebarre, alias Furiosagat­he, féroce bloqueuse des Black Tagada de Calais

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