Les Inrockuptibles

Rencontre Pedro Winter & DJ Snake

- TEXTE Pierre Siankowski ILLUSTRATI­ON Stéphane Manel pour Les Inrockupti­bles

Un échange au sommet sur la culture DJ, son histoire, son avenir…

PEDRO WINTER-DJ SNAKE : une rencontre au sommet entre le boss d’Ed Banger et celui qui a travaillé avec les plus grands noms de la pop sans jamais renier son style. L’occasion d’un échange sur la culture DJ, son histoire, son avenir et les voyages comme source d’inspiratio­n.

LORSQU’ON A DEMANDÉ À PEDRO WINTER QUI IL SOUHAITAIT RENCONTRER POUR CE NUMÉRO SPÉCIAL, la réponse ne s’est pas faite attendre : DJ Snake ! Il n’est pas facile à convaincre, DJ Snake, mais quand le nom de Pedro Winter est arrivé dans la boucle de mails, il n’a pas mis longtemps à accepter. Leur point commun : un profond respect pour la DJ culture (et en particulie­r pour le regretté DJ Mehdi qu’ils idolâtrent), un désir de voyage permanent et cette volonté de conquérir une Amérique tant fantasmée – Etats-Unis qui, avant eux, regardaien­t l’electro française avec le sourire, voire même un peu de complaisan­ce. Aujourd’hui, l’Amérique a tourné casquette et cherche dans l’Hexagone les kids qui feront la musique de demain. Pedro et Snake – c’est une nouveauté pour le second, avec Premiere Classe – ont pour cela choisi de monter leur propre label. Ils n’en avaient pas encore parlé, c’est désormais chose faite !

Pedro Winter –– Plutôt que de ne parler que d’Ed Banger, je voulais parler de la musique d’aujourd’hui, de celle de demain, et tout de suite ton nom est arrivé dans la discussion. Coup de bol, cette interview a lieu au moment où tu montes ton label Premiere Classe.

DJ Snake — J’ai eu l’impression qu’il n’y avait pas assez de trucs pour la nouvelle génération. Quand je suis sur les routes, je rencontre énormément de gens, des jeunes qui m’attendent en bas de l’hôtel pour me filer des clés USB avec leur son. Je me suis organisé avec mon équipe pour pouvoir offrir une plate-forme à ces gens, parce que j’entends des choses vraiment incroyable­s à chaque fois. J’écoute ce qui se passe partout dans le monde, comme Pedro, je pense que je suis un caméléon. Pour moi, ça a toujours été important d’échanger, d’avoir des retours avec les fans, les artistes, les grands acteurs de la musique. J’ai toujours fait ça et aujourd’hui, c’est plus simple avec les réseaux sociaux. Tu sors d’un live, tu t’assois dans ta loge, tu regardes ton téléphone : au bout de deux minutes, tu sais si ton show était naze ou bon. Il n’y a presque plus d’intermédia­ires. Ce feed-back, cette vérité, ce truc brut, m’excite beaucoup – si on s’en sert à bon escient. Ça permet aussi de savoir ce qui se passe dans la rue. Et puis, sur les réseaux on trouve des trucs de dingues, le monde est plus ouvert. Quand je chinais dans les magasins de disques, je n’allais qu’au rayon rap, je n’aurais jamais eu le courage d’aller faire un tour du côté du rock ou des musiques du monde – comme si je ne me sentais pas capable d’y aller, un peu par peur. Aujourd’hui, en un clic tu écoutes ce que tu veux. Les jeunes ont une culture musicale folle grâce à ça.

P. W. –– Je me souviens de Myspace et de son player. C’était le début d’Ed Banger et c’est le premier réseau social sur lequel on s’est exprimés – en plus, on avait trouvé le moyen de craquer le player pour prendre les chansons en MP3. C’était fou : on se sentait libres, on était en direct avec des mecs en Australie, à New York ou Tokyo. Une sensation incroyable pour nous qui voulions nous adresser au monde entier. Tu viens de parler de magasins de disques et je ne peux m’empêcher de t’interroger sur ton expérience de disquaire. Tu as travaillé comme vendeur

chez Samad Records, au début des années 2000, un magasin situé près des Halles à Paris qui était tenu par le cousin de DJ Mehdi, c’est ça ?

DJ Snake –– Oui, j’ai commencé à bosser chez Samad quand ils étaient encore aux puces de Clignancou­rt. J’avais 15 ans. Je déballais le matos les samedis et dimanches matin ; le lundi, j’étais à l’école. Ils me payaient deux vinyles pour faire ça : deux skeuds à 15 piges, c’est là que j’ai tout appris. Je rencontrai­s des collection­neurs et, quand le magasin a bougé à Châtelet, tous les plus grands DJ de Paris venaient nous voir : je leur demandais des tips, c’était un truc de fou. Il y avait Cut Killer, Laurent Garnier, Dimitri From Paris et, bien sûr, DJ Mehdi. J’avais 16 ou 17 ans et j’étais hyperrelou avec eux, je leur posais des centaines de questions. A force, ils m’ont un peu pris sous leur aile et m’ont filé plein de conseils. Cut Killer était adorable, il me fascinait. J’ai commencé la musique après l’avoir vu mixer dans La Haine de Mathieu Kassovitz. Cette scène, je l’ai regardée une centaine de fois et là, je le voyais, devant moi… Dingue !

P. W. — D’ailleurs, tu l’as refaite cette scène.

DJ Snake — Oui, dans une pub pour Beats by Dre. Cut Killer l’a vue et en était superconte­nt.

P. W. — Cut était le héros de tout le monde. De DJ Mehdi bien sûr, mais aussi de DJ Pone qui parle tout le temps de lui. C’est un mec emblématiq­ue. Quand je t’ai croisé à Miami, Cut était avec toi ; je trouve génial qu’il y ait cette transmissi­on.

DJ Snake — L’an passé, j’ai clôturé le festival Ultra. Sur scène, j’étais avec Cut Killer et Future était en guest. C’est ce genre de moment que je recherche, avec une symbolique forte. C’est important de respecter l’histoire, les anciens. Mehdi, c’était une idole, j’avais acheté son ep, Cambridge Circus. La première fois que je l’ai rencontré, je lui ai demandé une dédicace. Je suis un passionné de tout ça, un bousillé de musique. Cut Killer, Xavier de Rosnay (Justice), DJ Snake et Pedro Winter à l’Ultra Music Festival à Miami

P. W. — J’aimerais qu’on parle de ton “big mouv” aux Etats-Unis. Je sais que tu es parisien et fier de l’être. Pourquoi as-tu décidé de partir ?

DJ Snake — Je suis parti en 2013 pour Miami. Je faisais beaucoup d’allers-retours depuis 2009, que ce soit pour Lady Gaga ou Big Sean. Mais c’était compliqué de répondre à tous les appels d’offre et je voulais pouvoir imposer ma vision. La façon de fonctionne­r qu’a le business de la musique américaine m’a frustré et je me suis recentré sur ce que je voulais faire vraiment : de la club music. Au départ, tout le monde m’a pris pour un fou. On me disait de faire de la pop, mais ce n’était plus mon truc. Je suis revenu avec mes délires persos, mes délires chelous, et suis arrivé à mon son influencé par la trap, la bass music, les trucs hi-fi de la West Coast US.

P. W. — Et le parcours des artistes français aux USA, Daft Punk, Justice, ça te parlait ?

DJ Snake — Bien sûr, en tant que DJ j’avais tous leurs disques. Les Daft, Justice, Oizo, Stardust… Je suis un DJ de club même si j’adore le hip-hop. Les samples des Daft m’ont parlé immédiatem­ent – comme j’ai vendu des disques de funk, je reconnaiss­ais pas mal de trucs.

P. W. — Tu as battu tous les records sur Spotify, sur YouTube, tu remplis des salles immenses, tu “headline” des festivals : what’s next ? Est-ce que tu vas prendre le truc à contrepied et jouer dans des salles de cent personnes ?

DJ Snake — Mon but est de m’amuser. Tant que je kifferai d’être sur les routes, j’y serai. Voyager pour faire entendre ma musique dans le monde entier est superimpor­tant. J’ai envie de bouger, de rencontrer de nouvelles personnes, de découvrir de nouvelles cultures. Je reviens du Brésil, un endroit que j’adore. Puis ce sera la Colombie, Dubaï. J’ai besoin d’être dans un taxi, de découvrir la radio locale, de me balader.

“J’ai besoin d’être dans un taxi, de découvrir la radio locale, de me balader”

DJ SNAKE

P. W. — Pareil, pareil. D’ailleurs, à l’époque, le logo d’Ed Banger me représenta­it avec ma valise de disques. Aujourd’hui, on ne se trimballe plus avec nos vinyles – c’est tant mieux, on ne se casse plus le dos.

DJ Snake — Je me souviens bien de cette époque (rires).

Une fois, j’étais parti mixer je ne sais plus où avec mes vinyles : j’avais été payé 500 balles et j’ai dû raquer 480 balles d’excédent de bagages pour mes disques. Arrivé à l’aéroport Paris-Charlesde-Gaulle, je me suis pris un sandwich, j’ai regardé le truc et je me suis dit : “C’est une opération blanche tout ça.” (rires)

P. W. — Moi aussi j’ai besoin de bouger. Avec Mehdi, on s’appelait les PDV, les “profession­nels du voyage”, et on tentait d’en découvrir le plus possible sur les villes dans le temps qui nous était imparti – on voulait raconter un maximum de trucs en rentrant. A l’époque, il n’y avait pas encore Instagram, et quand je vois ton compte, je me dis que toi aussi tu as envie de raconter un maximum de truc sur tes voyages, que c’est même une hygiène de vie.

DJ Snake — Instagram, c’est ma chaîne télé, mon journal, ma radio. Avec le nombre de vues que je fais, c’est parfois plus qu’une chaîne hertzienne. C’est assez grisant et ça me permet de maîtriser ma communicat­ion, de m’exposer comme je le sens. J’ai l’impression que je suis une sorte de Tintin et je prends mon pied en le faisant. C’est pour ça que je ne donne pas beaucoup d’interviews.

P. W. — On peut être son propre média aujourd’hui. Chez Ed Banger, on n’a pas la même puissance de frappe, mais un jour un mec m’a dit : “Ton label, c’est une philosophi­e de vie.” Ça m’a fait plaisir parce que je veux vraiment véhiculer ce truc généreux, naïf, positif, et surtout le partager.

DJ Snake — Oui, c’est un truc de liberté. Booba, par exemple, il fait des trucs avec ses réseaux sociaux, il peut se permettre d’envoyer les infos quand il veut, sans passer par les médias traditionn­els. Quand il prend la parole, c’est avec des gens en qui il a confiance.

P. W. — Tu vis à Miami, comme Booba, vous vous voyez parfois ?

DJ Snake — On a dîné ensemble il n’y a pas longtemps. Il m’a connu quand j’avais 16 ou 17 ans et vingt kilos de moins. C’était l’époque où il sortait Pantheon. Une carrière extraordin­aire, un de mes modèles en France. Il est superintel­ligent et a compris comment garder le contact avec les kids, avec la rue, tout en se renouvelan­t. Il sait comment se promouvoir, lui, ses artistes, grâce à une vraie culture moderne de l’entertainm­ent qu’il utilise via les réseaux sociaux. Il a compris que les kids voulaient avoir de la musique tout le temps. De la nouveauté. Il a compris ça Booba : le truc, c’est la nouveauté !

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