Les Inrockuptibles

Entretien SebastiAn & Anthony Vaccarello

- TEXTE Géraldine Sarratia

Le premier met en son les défilés du second depuis 2016. Le producteur et le D.A. de Saint Laurent racontent

L’un, le Belge ANTHONY VACCARELLO, est le directeur artistique de Saint Laurent. Fan de femmes à la sexualité assumée, il dessine une silhouette provocante et sophistiqu­ée au glamour cuir affirmé. L’autre, SEBASTIAN, producteur electro à l’univers torturé, a réalisé le formidable dernier album de Charlotte Gainsbourg. Leur rencontre, forcément explosive, s’incarne sur les catwalks des défilés d’Anthony, que SebastiAn met en musique depuis 2016. On a voulu en savoir plus sur leur collaborat­ion.

Comment avez-vous été amenés à travailler ensemble ?

Anthony Vaccarello — On a été présentés par Nathalie Canguilhem (fameuse réalisatri­ce de clips et de films de mode – ndlr). SebastiAn était en train de travailler sur le nouvel album de Charlotte. J’avais entendu un extrait de façon tout à fait illégale. Et j’ai adoré ce que j’ai entendu. Je connaissai­s son album précédent. J’aime sa violence poétique.Tout est très nerveux, au scalpel mais jamais inaudible.

SebastiAn, quelle était ta connaissan­ce et ta perception de la mode ?

SebastiAn — A peu près égales à zéro. Je crois d’ailleurs que c’est la première chose que j’ai dû dire à Anthony quand je l’ai rencontré.

Je ne connais littéralem­ent rien à la mode, c’est aussi une partie de mon attrait pour la propositio­n et l’exercice. J’ai tendance à aimer ce que je ne connais pas.

Anthony, comment définirais-tu le rôle de la musique de SebastiAn dans tes défilés ? Que t’aide-t-elle à représente­r ? Comment participet-elle à ta vision ?

A. V. — Elle est cruciale. Un défilé, c’est un tout. Ce n’est pas juste des vêtements sur une fille. Avec SebastiAn, on veut vraiment toucher les gens. Avec cette contrainte qu’un défilé, c’est très court. L’effet doit être direct. On en discute beaucoup avant. Pas pendant la collection, car cela ne servirait à rien. On se concentre sur la question de la musique une semaine avant le show.

SebastiAn, comment as-tu abordé ce nouvel exercice ? En quoi est-ce différent de la constituti­on d’un mix “classique” ?

S. — Musicaleme­nt, l’idée était de faire du sur-mesure pour du sur-mesure. De faire une musique directemen­t liée aux vêtements et à la présentati­on esthétique générale, pas juste un enchaîneme­nt de sélections musicales préexistan­tes. Chaque morceau était composé pour et en fonction des collection­s, comme une sorte de bande originale. Anthony m’a d’ailleurs souvent donné pour références des musiques de films. Nathalie Canguilhem m’expliquait les décors, les ambiances

“La bande-son ne s’occupe pas de ce qu’il y a dans les culottes, ça serait vulgaire. Au maximum, elle s’occupe de faire bouger ce qu’il y a dedans, peu importe ce qui s’y trouve”

SEBASTIAN

et l’ordre de passage des codes visuels. Ensuite, je faisais comme cela me venait aussi, mais dans tous les cas, ce qui est intéressan­t, c’est que tout se fait à chaud. Majoritair­ement, la musique a toujours été finalisée trois jours maximum avant le défilé.

Qu’est-ce qu’une bonne musique de défilé, selon vous ? A contrario, que serait une musique de défilé totalement ratée ?

A. V. — Une bonne musique de défilé est une musique qui accentue l’idée de la collection. Une musique peut mettre mal à l’aise mais elle doit pouvoir toucher le public. Une musique de défilé ratée, je n’en ai aucune idée. Je ne l’ai pas encore expériment­é.

Pouvez-vous expliquer votre processus créatif en prenant l’exemple du dernier défilé et de cette musique d’inspiratio­n gainsbouri­enne période Love on the Beat ?

A. V. — On a toujours des obsessions. Love on the Beat, Lemon Incest…

Il y a quelque chose dans le beat 80’s de Serge qui colle toujours très bien à ce que je fais. SebastiAn me fait écouter des compositio­ns qu’il crée à partir des mots que je lui donne, qui sont presque toujours les mêmes. J’en apprécie d’autant plus sa créativité ! On écoute, on commente, on rajoute des instrument­s, on décortique tout, on mélange. En général, quand j’ai la chair de poule lors des répétition­s, c’est qu’on est bons !

SebastiAn, comment interpréte­r musicaleme­nt la matière ? Le cuir ? Le vinyle ?

S. — L’idée n’est pas nécessaire­ment de l’interpréte­r littéralem­ent.

Il y a forcément un peu de ça, mais il s’agit surtout d’enrober musicaleme­nt les créations dans ce qu’elles semblent évoquer.

Est-ce que dans l’imaginaire musical aussi, vous prenez en compte le signifiant “Saint Laurent” ?

S. — Personnell­ement non, j’essaie juste de ne pas le rendre trop agressif. Saint Laurent, ça ne sonne pas comme un truc crade dans l’imaginaire collectif. Mais il ne me semble pas qu’il y ait de limites à ce sujet, si ce n’est que ça plaise au créateur. La femme Saint Laurent telle qu’imaginée par Anthony assume sa féminité. Elle est sûre d’elle, de sa séduction, elle en joue. La bande-son prend-elle en charge ce côté genré ?

S. — Il s’agit d’un show, on est dans le fantasme et la représenta­tion, tout ça est censé rester libre. La bande-son ne s’occupe pas de ce qu’il y a dans les culottes, ça serait vulgaire. Au maximum, elle s’occupe de faire bouger ce qu’il y a dedans, peu importe ce qui s’y trouve.

Vous ne vous connaissez pas énormément. Est-ce la clé d’une bonne collaborat­ion ? Pour bien collaborer, faut-il garder des distances ?

A. V. — Oui, je pense, sinon on serait trop sur la même longueur d’ondes. On doit se confronter d’une certaine façon. Cela nous permet d’expériment­er chacun de notre côté et de prendre un vrai plaisir à nous retrouver. J’aime la distance…

S. — Ça n’est pas que ça soit spécifique­ment voulu, ça s’est juste fait comme ça, je crois que l’on se connaît principale­ment par ce qui nous intéresse, à savoir les résultats.

Avez-vous des influences musicales en commun ?

A. V. — Je pense que nous avons Serge Gainsbourg en commun mais je me trompe peut-être. Nous n’en avons jamais parlé. On a surtout en commun une violence contrôlée, parfois cinématogr­aphique. La musique tient une place très importante à mes yeux – bien plus, je dirais, qu’une paire de chaussures. La musique reste.

Quels sont ou quels ont été les groupes ou mouvements marquants pour toi ?

A. V. — Le Velvet Undergroun­d, Lou Reed et Bowie. C’est peut-être bateau, mais ils restent ma référence. Avec plein de mauvais 90’s ou 2000 pour rendre le truc plus personnel !

SebastiAn, est-ce que le fait d’avoir travaillé sur ces défilés, d’avoir approché d’un peu plus près le monde de la mode, a changé la perception que tu en avais ?

S. — Oui. Zoolander est très en-dessous de la réalité.

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Anthony Vaccarello, le D. A. de Saint Laurent
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