Les Inrockuptibles

Rencontre Quentin Dupieux & Grégoire Ludig

- TEXTE Jean-Marc Lalanne et Théo Ribeton PHOTO Boby Allin pour Les Inrockupti­bles

Le septième long métrage de Mr. Oizo, Au poste !, met la moitié du Palmashow à l’affiche

connu aussi sous le nom de Mr. Oizo quand il tâte de l’electro, revient en juillet avec son septième long métrage, Au poste ! A l’affiche de ce quasi-huis clos en commissari­at, GRÉGOIRE LUDIG, moitié du Palmashow, joue le suspect pas très idéal. Echanges en rafale autour de l’indépendan­ce, du cinéma, de l’humour…

APRÈS UNE SÉRIE DE FILMS À L’HUMOUR ABSTRAIT ET STYLISÉ, LOCALISÉS À LOS ANGELES (“WRONG”, “WRONG COPS”, “RÉALITÉ”), le cinéma de Quentin Dupieux investit pour la première fois le territoire hexagonal avec Au poste ! Cette comédie policière ne sortira que le 4 juillet, mais à la demande de Pedro Winter, son réalisateu­r et un de ses interprète­s principaux nous en livrent un avant-goût. Le film est presque un huis clos dans un commissari­at, où toute une nuit durant un flic extravagan­t (Benoît Poelvoorde) interroge un suspect pourtant très normcore (Grégoire Ludig).

Autour d’eux s’agite toute une petite société excentriqu­e : Anaïs Demoustier en sosie d’Isabelle Huppert seventies, l’étonnant Marc Fraize, Philippe Duquesne, Orelsan en fils à papa nonchalant… A peine ce film terminé, Dupieux a enchaîné sur la préparatio­n d’un nouveau long métrage tourné en ce moment dans les Pyrénées avec Jean Dujardin et Adèle Haenel, Le Daim. C’est la veille de s’envoler pour Pau que le cinéaste (et musicien – connu sous le nom de

Mr. Oizo) a retrouvé son interprète pour une conversati­on entre barbus sur ce qui les fait rire, l’indépendan­ce artistique et leurs classiques préférés du cinéma français.

(A Quentin Dupieux) Puisque c’est un numéro consacré à Ed Banger, peux-tu nous raconter ta relation avec le label ?

Quentin Dupieux — A titre personnel, je dirais qu’il m’a donné un second souffle. J’ai commencé à bosser avec eux en 2006, avec le premier maxi d’Uffie, Pop the Glock. Comparé à l’école un peu rigoriste de FCommunica­tion avec qui j’avais débuté, Ed Banger a emmené à la scène electro quelque chose de rigolo, une énergie sympathiqu­e, plus funky. Ça m’a ouvert à la fête. Durant toute ma première période, cette dimension m’était assez étrangère. La première French Touch était un peu esthète, faite de mecs qui te disaient (il prend un air un peu pincé) : “Et toi, t’utilises quelle machine ?”

Au moment du succès de ton morceau Flat Beat, en 1999, as-tu eu l’impression d’appartenir à une scène, celle de la French Touch ?

Q. D. — Ah, pas du tout. Je me suis toujours perçu comme un mouton isolé et malade. J’étais en réseau fermé, très seul. Ce n’est que plus tard, quand j’ai rencontré Pedro et Ed Banger, que j’ai eu un peu le sentiment d’avoir trouvé une famille.

(A Grégoire Ludig) Toi qui étais ado à la fin des années 1990, est-ce que ça a compté pour toi, la French Touch ?

Grégoire Ludig — Non, pas trop. Je n’écoutais pas tellement d’electro. J’étais très rap français. Je le suis toujours. Et rap américain aussi bien sûr.

Q. D. — Non mais arrêtez ! Tout à coup, on a l’impression que j’ai 50 ans et lui vingt de moins… (rires)

G. L. — Pas loin, quand même… (rires)

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

G. L. — Par Twitter ! C’est pas passé par un agent, ou par un truc un peu formel. Il m’a envoyé un message : “Salut. Tu connais mes films ? Ça te dirait de me rencontrer ?” Très vite, il m’a dit qu’il avait un truc à me faire lire. Et ça s’est fait comme ça, de façon très directe. Steak me parlait beaucoup, parce que le film s’inscrivait dans le parcours d’un duo comique, comme David (Marsais, son compère du Palmashow – ndlr) et moi. Même s’il est venu vers moi pas du tout parce qu’il connaissai­t le Palmashow mais parce qu’il m’avait vu dans le film de Marion Vernoux avec Virginie Efira, Et ta soeur ?

Q. D. — Je connaissai­s quand même un peu le Palmashow. Mon fils le matait. Comme il est fan, un soir il a voulu qu’on regarde ensemble Et ta soeur ?, pour Grégoire. J’ai été bluffé par sa maîtrise du naturel avant même de découvrir son côté comique. Souvent, dans les films, je trouve que les acteurs appuient trop, que les sourcils bougent trop… Comme mes scripts sont un peu zinzins, j’adore avoir des acteurs qui jouent comme si c’était vrai. Dès Steak, j’ai passé des heures à obtenir d’Eric et Ramzy d’être plus calmes, de moins partir dans tous les sens.

Ce travail, on a le sentiment que tu l’as produit dans Au poste ! sur le jeu de Benoît Poelvoorde…

Q. D. — On a vu neuf mille fois Benoît gueuler, être exubérant. Mais je ne l’ai pas spécialeme­nt dirigé. Il sentait tout seul que ça n’aurait pas été intéressan­t de monter dans les tours.

Jusque-là, même si tes précédents films étaient français en termes de financemen­t, tu n’as filmé que le Canada (Steak) et L. A. ( Wrong, Réalité). Avais-tu envie de filmer la France ?

Q. D. — Quelque chose s’est débloqué dans Réalité en travaillan­t avec Alain Chabat ou Jonathan Lambert. On se marrait des mêmes trucs, je pouvais les diriger en disant : “Non, là t’es trop Balladur”. Par rapport aux équipes américaine­s avec lesquelles je bossais jusque-là, j’ai découvert le plaisir qu’il y a à avoir un lien culturel avec ses collaborat­eurs et qu’ils soient vraiment investis dans le projet. Avant, je crois que j’étais en fuite. Pour être inspiré, j’avais besoin d’être ailleurs que chez moi. Je crois que j’ai réglé ce problème. Dans Au poste !, je suis même arrivé à filmer Paris, ce qui me paraissait insurmonta­ble.

G. L. — Même dans l’écriture, la langue, on sent que tu kiffes vraiment de t’exprimer en français.

“On peut se branler avec Pulp Fiction, c’est super, mais en vrai Trop belle pour toi, c’est plus virtuose” QUENTIN DUPIEUX

Filmer en France, c’est aussi se confronter à la mémoire du cinéma français. On pense beaucoup à Blier ou aux films français de Buñuel en voyant Au poste !

Q. D. — Oui, Blier et Buñuel, à fond. Mais j’ai pensé aussi à Garde à vue de Claude Miller, qui est également une nuit d’interrogat­oire dans un commissari­at. Ou à Série noire de Corneau. Il ne faut pas que ça sonne prétentieu­x, mais en faisant le film j’avais l’impression de faire un classique. Parce qu’il est hyper relié au patrimoine culturel du cinéma français. J’adore le cinéma de Blier. Trop belle pour toi, je le revois tout le temps tellement c’est virtuose. Et honnêtemen­t, cette sophistica­tion-là, on n’a pas ça ailleurs. On peut se branler avec Pulp Fiction, c’est super, mais en vrai Trop belle pour toi, c’est plus virtuose.

Grégoire, le cinéma français classique compte aussi pour toi ?

G. L. — C’est peut-être le fait de vieillir, mais en musique et en cinéma, je suis de plus en plus tourné vers les choses du passé. Déjà, notre film, La Folle Histoire de Max et Léon, est un hommage à Gérard Oury, à La Grande Vadrouille…

Je suis un énorme fan de Bourvil et De Funès.

Quentin, de tous tes films, Au poste ! est celui qui est le plus clairement une comédie…

Q. D. — Pourtant, c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Je n’ai jamais eu envie de faire des films bizarres, décalés ou je ne sais quoi. J’ai envie de faire marrer. Et si ça ne marche pas, c’est que ce n’est pas réussi. L’envie de faire du bizarre, je trouve ça horrible. Eraserhead, très pénible. Twin Peaks, ça m’ennuie vite – même si je n’ai pas vu la troisième saison, qui est paraît-il très drôle. Mais ce monde du malaise n’est pas un truc que j’affectionn­e. Mes références, c’est plutôt Blake Edwards, Peter Sellers. J’aime bien quand c’est léger. Après, on est toujours rattrapé par ses démons. C’est vrai qu’il y a toujours des morts dans mes films, mais c’est plus fort que moi. Là, j’ai assisté à une projo publique, et la salle riait beaucoup. J’avais enfin l’impression d’avoir fait un De Funès (rires). Mais le rire s’est un peu figé quand un des flics meurt. Et là je me suis dit “Et merde ! pourquoi j’ai encore mis un mort ?!” (rires) Et puis heureuseme­nt, c’est reparti.

Grégoire, le cinéma a assez vite fait appel à toi à partir du moment où tes sketchs ont eu du succès ?

G. L. — Pas vraiment. Le premier film, c’était Les Emotifs anonymes, en 2010. J’avais déjà 27 ans. Avec David, on se connaît depuis le lycée. Après les cours, on écrivait des trucs, on se filmait sur la véranda, on ne passait pas une journée sans faire un sketch. Donc j’ai le sentiment qu’il y a eu beaucoup de travail, beaucoup de démarches avant le succès.

Quel est le format qui te fait le plus rire ?

G. L. — Un peu tout. Aujourd’hui, on peut éclater de rire pour une vidéo de trente secondes. J’adore écrire des formats courts, une fausse pub, un sketch parodique… Mais c’est aussi un vrai kif d’écrire un scénario. Le truc, c’est d’éviter que le film soit une succession de sketchs étirés. Souvent, avec David, on a une idée drôle, et puis on remballe en se disant “Pour un film, ça sert à rien”.

Q. D. — Tu connais les vidéos How to basic ?

G. L. — Non, c’est quoi ?

Q. D. — C’est un mec qui fait de faux tutos. Il est dans une cuisine, il jette des poulets, écrase des oeufs. On voit jamais

“J’ai besoin d’écrire, sinon c’est pas mon film. J’ai besoin de réaliser, sinon c’est pas ma vision. J’ai besoin de monter, sinon c’est pas mon rythme”

QUENTIN DUPIEUX

sa tête, c’est un porc toujours en slip, en caméra subjective, et il fait des recettes odieuses où il finit toujours par tout casser et détruire sa cuisine. Ça fout mal au ventre de rire. On vit quand même une époque géniale : ce taré poste des trucs super malaisants, dégénérés, et ça tourne partout.

Comment as-tu découvert Tim et Eric, ce duo d’humoristes américains dont le second apparaît dans Wrong et Réalité ?

Q. D. — C’est le musicien Flying Lotus qui m’a fait découvrir leurs sketchs. J’ai adoré. Ils ont une zone d’humour vraiment dingue. C’est en rencontran­t Eric (Wareheim), qui fait deux mètres et qui a une gueule impossible, que j’ai eu envie de le faire tourner.

Tu passes beaucoup de temps à chercher des vidéos drôles, à regarder des films, découvrir de la musique ?

Q. D. — Non, je n’ai pas le temps du tout.

Et c’est une frustratio­n ?

Q. D. — Pas du tout. A la fois parce que je préfère passer du temps à créer plutôt qu’à écouter les créations des autres et parce qu’il n’y a aucune musique qui me fait plus kiffer que ma propre musique. Quand je suis en bagnole, je mets mes tracks et ça me va. Cette musique colle comme aucune autre à mon cerveau.

As-tu le sentiment que tu as un contrôle artistique plus total sur ta musique que sur tes films ?

Q. D. — Ah, pas du tout. Je les écris, je les monte, je fais la lumière. Et je ne pourrais jamais céder un de ces postes. Ça n’aurait aucun sens pour moi d’accepter une commande où je n’aurais en charge que la réalisatio­n à partir d’un scénario qu’on m’apporterai­t. C’est comme si on disait à Grégoire : “Bon, tu vas jouer dans le film, mais ça ne sera pas ton corps !” (rires). J’ai besoin d’écrire, sinon c’est pas mon film. J’ai besoin de réaliser, sinon c’est pas ma vision. J’ai besoin de monter, sinon c’est pas mon rythme. Je monte mes films depuis que j’ai 15 ans, sur des VHS, je ne sais pas faire autrement que tout faire.

G. L. — Depuis que t’as 15 ans ? Ça fait cinquante ans du coup… (rires)

Toi, Grégoire, tu passes facilement du statut d’auteur complet à celui de simple acteur ?

G. L. — J’aime beaucoup n’être qu’acteur quand c’est le projet de quelqu’un d’autre. Pour nos projets, David et moi contrôlons toutes les étapes. Mon frère fait les ziques. C’est un truc de famille, on se connaît par coeur. C’est parfois un combat dans le cinéma français de vouloir rester en famille. On a bataillé par exemple pour imposer à la réalisatio­n de Max et Léon Jonathan Barré, qui a réalisé tous nos sketchs. Comme si nos sketchs ne tenaient pas à notre complicité avec lui. Il a fallu rester droit dans ses bottes. Ce qu’on veut, c’est pouvoir décider. Certains jugent que c’est de l’arrogance. Mais c’est juste qu’on sait ce qui est bien pour nous.

Pourquoi le personnage de Grégoire s’appelle-t-il Fugain dans Au poste ! ?

Q. D. — C’est un nom génial. Tu l’entends et tu te dis “Fais comme l’oiseau…”. On revient toujours à cette connivence culturelle, ce petit patrimoine français, notre enfance…

G. L. — Et puis parce que “Tout doux, Fugain !” dit par Benoît Poelvoorde, c’est super drôle (rires).

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