Extension du domaine de la flûte
Bobbi Humphrey, une flûtiste prodige qui fut la première femme à signer chez Blue Note.
SUR “ANOTHER STAR” DE STEVIE WONDER, éblouissant crescendo menant tout droit à l’extase, c’est sa flûte enchantée qui donne le coup de grâce. La même année (1976), Bobbi Humphrey est élue meilleure femme instrumentiste par Billboard et en profite pour signer chez Epic, après cinq saisons fertiles au sein de Blue Note Records. Le label, qui avait attendu pas moins de trente ans pour introduire une femme sous sa coupole, perd ce joyau à couronne afro, sorte d’Angela Davis des flûtes de grande classe, et une part de sa groovitude absolue.
Repérée par Dizzy Gillespie alors qu’elle est encore étudiante à Dallas, la jeune Texane d’à peine 20 ans suit les conseils du trompettiste joufflu et s’en va tenter sa chance à New York, où elle se retrouve une nuit à partager les planches avec Duke Ellington. Dans la foulée, elle est enrôlée par
Lee Morgan cinq mois avant son dernier souffle, sur ce qui deviendra le posthume The Last Session chez Blue Note.
C’est l’époque où la maison-mère du hard bop a des envies de diversification funky et Bobbi a ça dans la peau. Plutôt que de jouer les utilités pour les mâles, elle obtient d’avoir son nom à elle en grand sur les pochettes. Sur Flute-In (1971) et Dig This! (1972) elle adapte à la volupté de son instrument les parties vocales des hits encore chauds de
Bill Withers, Carole King, Stevie Wonder (déjà !) ou des Temptations, avec quelques cracks notoires dans son dos, dont Hank Jones ou Ron Carter.
Mais c’est avec Blacks and Blues, en 1973, qu’elle décroche la timbale, l’album étant entièrement écrit, produit et orchestré par Larry Mizell avec l’aide de son frère Fonve, sur un modèle déjà éprouvé chez Donald Byrd. La marque des Mizell Brothers, qui émargent également chez Motown, ce sont d’opulentes orchestrations et des choeurs opalescents, des rythmiques laid-back made in L. A. et quelques touches de synthés cosmiques, soit un terrain parfait pour l’envol d’une flûte au soleil couchant. Harlem River Drive et ses huit minutes paradisiaques entrent directement dans la légende, avant d’entrer des années plus tard dans toutes les banques de samples qui se respectent.
Sur ses trois albums pour Epic, Humphrey tâtera du disco et lâchera parfois son instrument pour chanter, accueillant en échange de bon procédés l’harmonica de Stevie sur l’irrésistible et ardent Home-Made Jam. Un seul disque (médiocre) dans les eighties et deux autres pas bien plus réjouissants au cours de la décennie suivante auront pour fâcheux effet de l’effacer des mémoires. Merci Oizo, pour avoir fait en sorte de ressortir Bobbi de l’oubli.