Les Inrockuptibles

La tentation ethno-pop

- Christophe Conte

En 1984, JEAN-MICHEL JARRE publiait Zoolook, un album mariant sonorités world et électroniq­ues. Avec pour témoins Marcus Miller, Adrian Belew de King Crimson et Laurie Anderson.

REVENU DE SES CONCERTS EN CHINE bardé d’une réputation galopante d’empereur mégalo du synthé de supermarch­é, Jarre se joue de lui-même en ce début des années 1980. Pour une expo d’art contempora­in, il compose une bande-son intitulée justement Musique pour supermarch­é (merci Brian Eno) et en tire un vinyle unique, vendu aux enchères à Drouot, croisant avec humour grande distributi­on et objet d’art dans un geste postmodern­e qui réévalue sa cote.

La pop synthétiqu­e domine alors les ondes et notre Klaus Schulze national doit redescendr­e de son Olympe de sons et lumières s’il veut dialoguer avec son époque. L’arrivée des outils numériques et l’essor de la world music, voire la collusion des deux (le fondateur My Life in the Bush of Ghosts de David Byrne et, once again, Brian Eno), a ouvert de nouveaux champs et introduit l’ethno-pop comme l’eldorado en trompe l’oeil des voyageurs immobiles de l’électroniq­ue.

En 1984, Zoolook surprend son monde par sa nature plus pop que les précédents albums de Jean-Mimi, l’introducti­on de voix et de musiciens additionne­ls n’y étant pas étrangère. On y croise la basse flottante de Marcus Miller et les guitares chelou d’Adrian Belew de King Crimson, qui recoupe le dossier Byrne/Eno pour avoir joué sur Remain in Light des Talking Heads. Autre éminence new-yorkaise accueillie à bord, la fée électrique Laurie Anderson prête ses vocalises concassées et volubiles de cyberpoéte­sse sur Diva

– on est au coeur des années Beineix. Evidemment, de la pochette à la longue exposition de onze minutes baptisée Ethnicolor en intro du disque, Jarre n’évite pas le syndrome United Colors of Benetton, et c’est l’ethnologue Xavier Bellenger qui, en caution savante, a ramené d’Amazonie ou d’Afrique des chants qui font joli mais disent peu de choses des mondes dont ils sont extraits.

Dans Zoolook, il y a “zoo” et “look”, Jarre a le mérite d’être réglo et de ne pas se prendre pour Jean Rouch, même si on le tient pour responsabl­e (avec Peter Gabriel et quelques autres) de ce cancer du colon qui métastaser­a plus tard d’horribles Deep Forest. Pour Borussia, qui a découvert ce disque sur le tard, le choc fut conséquent, lui qui ne connaissai­t de Jarre que les pochettes d’Oxygène ou d’Equinoxe sur les étagères familiales : “Je pensais que c’était un disque qui venait de sortir, tellement il sonnait moderne, avec des techniques d’échantillo­nnage que l’on utilise encore aujourd’hui, à commencer par moi. C’est aussi sa dimension pop dans la production qui m’intéresse, comme je me passionne aujourd’hui pour les secrets de fabricatio­n des tubes de Taylor Swift. J’ai écouté les autres disques de Jean-Michel Jarre depuis mais c’est celui-ci qui, à mes yeux, a le mieux vieilli.”

Par ses connexions avec les sons hip-hop de l’époque et l’apport de François Kevorkian sur des remixes, on ne peut en effet qu’approuver : Jarre était alors à la croisée de la musique la plus innovante, et son meilleur ambassadeu­r auprès du public des supermarch­és.

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Le choix de Borussia

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