La tentation ethno-pop
En 1984, JEAN-MICHEL JARRE publiait Zoolook, un album mariant sonorités world et électroniques. Avec pour témoins Marcus Miller, Adrian Belew de King Crimson et Laurie Anderson.
REVENU DE SES CONCERTS EN CHINE bardé d’une réputation galopante d’empereur mégalo du synthé de supermarché, Jarre se joue de lui-même en ce début des années 1980. Pour une expo d’art contemporain, il compose une bande-son intitulée justement Musique pour supermarché (merci Brian Eno) et en tire un vinyle unique, vendu aux enchères à Drouot, croisant avec humour grande distribution et objet d’art dans un geste postmoderne qui réévalue sa cote.
La pop synthétique domine alors les ondes et notre Klaus Schulze national doit redescendre de son Olympe de sons et lumières s’il veut dialoguer avec son époque. L’arrivée des outils numériques et l’essor de la world music, voire la collusion des deux (le fondateur My Life in the Bush of Ghosts de David Byrne et, once again, Brian Eno), a ouvert de nouveaux champs et introduit l’ethno-pop comme l’eldorado en trompe l’oeil des voyageurs immobiles de l’électronique.
En 1984, Zoolook surprend son monde par sa nature plus pop que les précédents albums de Jean-Mimi, l’introduction de voix et de musiciens additionnels n’y étant pas étrangère. On y croise la basse flottante de Marcus Miller et les guitares chelou d’Adrian Belew de King Crimson, qui recoupe le dossier Byrne/Eno pour avoir joué sur Remain in Light des Talking Heads. Autre éminence new-yorkaise accueillie à bord, la fée électrique Laurie Anderson prête ses vocalises concassées et volubiles de cyberpoétesse sur Diva
– on est au coeur des années Beineix. Evidemment, de la pochette à la longue exposition de onze minutes baptisée Ethnicolor en intro du disque, Jarre n’évite pas le syndrome United Colors of Benetton, et c’est l’ethnologue Xavier Bellenger qui, en caution savante, a ramené d’Amazonie ou d’Afrique des chants qui font joli mais disent peu de choses des mondes dont ils sont extraits.
Dans Zoolook, il y a “zoo” et “look”, Jarre a le mérite d’être réglo et de ne pas se prendre pour Jean Rouch, même si on le tient pour responsable (avec Peter Gabriel et quelques autres) de ce cancer du colon qui métastasera plus tard d’horribles Deep Forest. Pour Borussia, qui a découvert ce disque sur le tard, le choc fut conséquent, lui qui ne connaissait de Jarre que les pochettes d’Oxygène ou d’Equinoxe sur les étagères familiales : “Je pensais que c’était un disque qui venait de sortir, tellement il sonnait moderne, avec des techniques d’échantillonnage que l’on utilise encore aujourd’hui, à commencer par moi. C’est aussi sa dimension pop dans la production qui m’intéresse, comme je me passionne aujourd’hui pour les secrets de fabrication des tubes de Taylor Swift. J’ai écouté les autres disques de Jean-Michel Jarre depuis mais c’est celui-ci qui, à mes yeux, a le mieux vieilli.”
Par ses connexions avec les sons hip-hop de l’époque et l’apport de François Kevorkian sur des remixes, on ne peut en effet qu’approuver : Jarre était alors à la croisée de la musique la plus innovante, et son meilleur ambassadeur auprès du public des supermarchés.