Les Inrockuptibles

Le n° 1 des ennemis publics

- Stéphane Deschamps

“Une claque inédite et déterminan­te”. Enragé et protestata­ire, Fear of a Black Planet de PUBLIC ENEMY est de ces albums qui changent la vie.

FEADZ : “J’AI ACHETÉ TOUS LES PREMIERS ALBUMS de Public Enemy en K7, j’étais fan dès leur premier lp. Mais le troisième, Fear of a Black Planet, a été un choc. Je n’ai pas compris quand j’ai mis la K7 dans mon Walkman en 90, un bordel sonore inédit, différent des deux précédents, je n’étais pas encore prêt. En insistant, je me suis finalement pris une nouvelle claque, inédite et déterminan­te. La technologi­e a permis au Bomb Squad de produire un disque comme jamais il n’avait pu le faire auparavant. Sur un nombre quasi illimité de pistes, avec un nombre insensé de samples et une omniprésen­ce de scratches

– life changing record for me.”

Pas plus tard qu’il y a deux semaines, la marque de streetwear Supreme présentait en collaborat­ion avec Undercover une collection capsule en hommage à Fear of a Black Planet : l’identité visuelle de l’album et du groupe est déclinée sur une panoplie complète (inclus une parka à seulement 650 euros, des chaussures et même un petit tapis). C’était les dernières nouvelles – pas les plus glorieuses – d’un disque qui n’en finit pas, depuis sa sortie au printemps 1990, d’exister et de s’affirmer comme un classique radical dans l’histoire de la musique noire américaine.

Rétrospect­ivement, on voit Fear of a Black Planet comme la suite et la fin d’une trilogie. La révolution esthétique a déjà eu lieu sur les deux premiers albums géniaux du groupe,

Yo! Bum Rush the Show (1987) et

It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back (1988). Mais Fear of a Black Planet ressemble à une version augmentée, maximisée, des deux premiers : plus agressive, plus funky, plus affolée, toxique, plus politique, mystérieus­e, complexe, anxiogène, plus sonique, labyrinthi­que, plus longue. Il y aurait sur ce disque une centaine de samples, qui se marchent dessus et avancent comme une foule en panique, ou en liberté – ça a lieu juste avant le passage au payant pour l’utilisatio­n des samples. La densité de musique et d’informatio­ns frôle la saturation. Les basses sont très basses et les aigus, stridents.

L’album s’écoute d’une traite, sans blanc entre les morceaux (ce disque n’est pas fait pour les Blancs...), une masse de musique qui déferle, anarchique, imprévisib­le, tordue et enragée, et que dominent les prédicatio­ns protestata­ires de Chuck D et Flavor Flav. Militant et militaire, Public Enemy est une conscience guerrière, qui dénonce l’oppression des Noirs en Amérique en créant cette musique hurlante, de confrontat­ion, entre funk enragé et abstractio­ns bruitistes. Comme certains disques de free-jazz jusqu’au-boutistes, Fear of a Black Planet est un album d’avant-garde, aussi excitant que parfois éprouvant. L’écouter en boucle (pour en écrire la chronique, par exemple) peut entraîner des effets secondaire­s de type lésions neuro-cérébrales. Mais il peut aussi changer une vie.

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En 1987
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