Le ravissement d’Etienne D.
POP SATORI, l’album qui allait déclencher la Dahomania, et marquer à jamais la pop électronique française.
LORSQUE DAHO PRÉSENTE
À SA MAISON DE DISQUES le successeur de La Notte, la notte, ce sont des mines déconfites et des regards embarrassés que le chanteur récolte en retour. L’album est prévu pour le 1er avril 1986, mais la blague ne fait rire personne : “aucun single”, “un son trop froid et métallique”, “une pochette sinistre” figurent parmi les reproches qui lui reviennent aux oreilles sur l’air d’une catastrophe industrielle annoncée. Une douche glacée pour Daho, dont le statut d’étoile montante de la pop française, né du triomphe de Tombé pour la France l’année précédente, reste encore fragile. Lui qui n’a voulu en faire qu’à sa tête et partir à Londres, obsédé par l’album Wish Thing du groupe Torch Song et par sa tête pensante, un certain William Orbit, a peut-être péché par orgueil. Et ce titre, Pop Satori, inspiré par Jack Kerouac, qui promet “un flash, une extase pop”, n’est-il pas un peu présomptueux pour qualifier cette musique ?
On connaît le reste de l’histoire : l’album sera un carton (disque de platine, 500 000 exemplaires vendus) et la tournée qui suivra consacrera une “dahomania” dans tout l’Hexagone, filles et garçons en transe à l’unisson aux sons cinglants d’Epaule tattoo, sautillants de Pop égérie O. ou évanescents de Duel au soleil, le tube “Top 50” de l’album, composé par le Havrais Jérôme Soligny. Peu importe si aucun d’entre eux n’a entendu parlé de The Gist (dont Love at First Sight est transformé en Paris le Flore), ni même de Syd Barrett et de son Late Night qui clôture l’album.
A Londres, les choses ont pourtant mal tourné avec Orbit. Depuis son studio au nom prémonitoire, Guerilla, celui qui n’est pas encore le producteur de Madonna prend déjà le Frenchy de haut et lui délègue son assistant, l’ingénieur du son Rico Conning. Un bon deal, au final, car Daho et Arnold Turboust, qui a composé l’essentiel de l’album, trouvent en ce “second couteau” une fine lame pour affûter leur désir, à savoir un album pop moderne aux inspirations multiples, qui encapsule à merveille son époque. Situé pile entre l’insouciance du début des années 1980 et la propagation funeste du sida, Pop Satori est bien l’une des dernières explosions extatiques que son étrange titre suggérait.
Ce n’est pas le meilleur Daho, ni le plus diffusé (Paris Ailleurs) mais c’est sans doute celui qui sert depuis toujours d’appartement témoin pour des générations de musiciens à la recherche des mêmes épiphanies. Pour Thibault, alias Boston Bun, 30 ans : “C’est un choix sentimental car ma mère écoutait ce disque en boucle quand j’étais enfant. Je n’avais aucune idée de ce qu’il disait, évidemment, mais j’étais déjà hypnotisé. Des années plus tard, j’ai compris l’importance de ce disque, du son particulier que Daho a créé, notamment dans sa manière de rompre avec les codes de la chanson française, avec des voix sousmixées comme on le faisait en Angleterre.”