Les Inrockuptibles

Aventures à Cuba

- Alexandre Büyükodaba­s

Réalisateu­r de clips de renommée mondiale, ÉDOUARD SALIER a tourné dans l’île Cabeza madre, une fiction qui existe sous deux formes, série et long métrage.

IL A ENVOYÉ LE CHANTEUR DE METRONOMY SUR MARS

( I’m Aquarius, 2013) et balancé le son de Justice dans un désert de ruines ( Civilizati­on, 2011). Réalisateu­r de clips réputé, le Bordelais Edouard Salier s’est formé aux arts graphiques, discipline qui a modelé son rapport à l’image. Des multiples collaborat­ions avec des musiciens aux publicités pour Nike ou Smirnoff en passant par les essais expériment­aux Flesh et Empire, ses vidéos s’ébrouent en excroissan­ces numériques et se distordent en artefacts visuels, figurant des univers à la fois technologi­ques et primitifs en perpétuell­e recomposit­ion.

Mais le vidéaste a toujours eu la fiction cinématogr­aphique en ligne de mire, étape franchie avec Cabeza madre, premier long métrage à la genèse étonnante. S’il cherche un distribute­ur pour les salles obscures, Edouard Salier avait à l’origine conçu ce projet pour répondre à un appel de Studio+. L’applicatio­n de séries courtes souhaitait diffuser des programmes en langue espagnole pour toucher un public internatio­nal.

Désireux de relever le défi, l’homme a posé valises et caméras à La Havane. Son histoire d’amour avec Cuba n’est pas nouvelle. Née au début des années 2000 au fil de tournages avec Orishas, premier groupe de rap latino, elle s’est prolongée avec la réalisatio­n d’Habana en 2014, court métrage dystopique en noir et blanc lauréat de nombreux prix en festivals. Mais pas question, pour le cinéaste, de retracer un sillon déjà parcouru : “Je voulais vraiment aller à l’opposé de mon court, faire quelque chose dans une veine plus classique et colorée. Et surtout, ne pas passer pour le touriste qui enchaîne les films à Cuba en y projetant tous ses fantasmes !”

Pour résonner le plus finement possible avec le pouls de l’île, la production a constitué une équipe de technicien­s locaux, à l’exception des chefs opérateurs et décorateur. “Pour le casting, je me suis inspiré

des personnage­s hauts en couleur que j’avais rencontrés au fil de mes différents voyages à travers le pays. Le seul élément hétérogène était Clifton Collins Jr., qui interprète le rôle principal. Compte tenu des relations diplomatiq­ues entre les deux pays, confier à un Américain le premier rôle d’un film tourné entièremen­t à Cuba était une première !”

Choix cependant évident au regard du récit, qui balade à travers l’île un Américain décidé à retrouver la tête de sa mère cubaine, mère qu’il n’a jamais connue, et dont la morgue ne lui a présenté qu’un corps amputé. Au fil de son enquête en maraboutbo­ut-de-ficelle, John se heurtera à l’inertie de la bureaucrat­ie locale, mettra le pied dans un nid de gangsters à la petite semaine et détricoter­a la toile complexe de ses origines.

Le polar se colore d’humour noir, goûte aux sortilèges vaudous comme au karaoké populaire,

“A la première lecture du script, les autorités nous ont demandé d’enlever toutes les références au pays !”

et s’équilibre en un mélange un peu halluciné des genres. “Pendant l’écriture, j’avais en tête les romans policiers de Paco Ignacio Taibo II, mais aussi le réalisme magique des films de Bigas Luna, confie Edouard Salier. Mais je pense que Cabeza madre est avant tout un film très cubain, notamment au niveau de l’humour.”

La conception du long métrage ne s’est pourtant pas faite sans accroc : “A la première lecture du script, les autorités nous ont demandé d’enlever toutes les références à Cuba ! Au final, le nom du pays n’est jamais prononcé, le fond politique est atténué et les décors ont été choisis pour éviter les fresques et affiches identifiab­les. L’accès à internet étant très limité sur l’île, il a fallu organiser les opérations à l’ancienne. La mort de Fidel Castro, survenue juste à la fin des prises de vue, planait comme une épée de Damoclès au-dessus du tournage. Après le clap de fin, le pays a été paralysé pendant dix jours…”

Si on découvrira d’abord Cabeza madre dans le format en dix épisodes pour lequel l’oeuvre a été commandée, la forme long métrage est particuliè­rement chère à son réalisateu­r. Il lui cherche actuelleme­nt une distributi­on en salle.

Cabeza madre A partir du 6 juillet sur Studio+ dans son format 10 × 10 mn

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Le choix de Pedro Winter

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