Les Inrockuptibles

L’héritage Halliday

- Jean-Marc Lalanne

Il y a quelque chose d’un peu schizophrè­ne dans la posture qu’adopte Steven Spielberg dans Ready Player One. Comme si l’émetteur (de l’oeuvre la plus pastichée par la culture pop) voulait aussi être le récepteur (comme ces trentenair­es ou quarantena­ires qui le recyclent avec dévotion). Spielberg ne revendique pas du tout ici un quelconque droit de propriété sur ce grand stock de patrimoine pop. Il a d’ailleurs effacé la majorité des références à ses propres films contenues dans le best-seller adapté. Ce qu’il vise, c’est plutôt de se déprendre du statut paternel que tous les nouveaux patrons de l’entertainm­ent d’Hollywood lui assignent pour rester à la place du fils, du récipienda­ire, de celui qui hérite – fût-ce de son propre patrimoine, au prix d’une étrange distorsion.

D’où le caractère assez travesti de la nostalgie dans Ready Player One. La ronde frénétique des références n’y revêt jamais le caractère liturgique et l’émotion un peu solennelle qu’elle prend chez J. J. Abrams (dans Super 8, dans son Star Wars) ou chez les frères Duffer (Stranger Things). Tout simplement parce que Spielberg ne réveille pas l’enfant en lui en évoquant les années 1980, qu’il ne s’avance pas comme J. J. Abrams et les Duffer à pas de loup dans l’arrièremon­de de ses images primitives. D’où le charme frivole de Ready Player One, grande machine à essorer les souvenirs d’un adulte rusé qui mime une culture teen dont il ne fut pas le destinatai­re mais l’expéditeur. L’émotion sourd néanmoins violemment à la fin et, comme souvent chez Spielberg, son siège privilégié est une chambre d’enfant. Celle de James Halliday, le concepteur d’un jeu universel qui lègue postmortem l’oeuvre de sa vie au petit malin qui en trouvera les clés cachées (autant dire que pour un spectateur français, le patronyme de ce personnage, Halliday donc, confère des échos troublants à cette histoire d’héritage disputé). L’enfant seul dans sa chambre face à un écran, c’est le Rosebud de Spielberg, la scène archaïque absolue. Mais ce qui est sublime ici, c’est que dans cette chambre virtuelle (enfouie dans les replis du jeu), Halliday adulte y cohabite avec Halliday enfant.

A la fin, l’adulte sort et, comme un parent à la fois autoritair­e et aimant, demande à son moi enfant de le suivre hors de la chambre. Occuper la place de spectateur des images qu’on a inventées/devenir le père de l’enfant qu’on a été : c’est le même rêve dément d’un entertaine­r hanté par l’immortalit­é.

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