Les Inrockuptibles

Rencontre Thomas Ngijol

A mi-chemin entre improvisat­ions freestyle sur scène et émission à sketches, Selon Thomas marque le retour sur Canal+ de THOMAS NGIJOL. Un humoriste apaisé mais pas assagi pour autant.

- TEXTE Clément Arbrun

Selon Thomas marque le retour sur Canal+ d’un humoriste apaisé mais pas assagi pour autant

“LE TRUC, C’EST DE TRAVAILLER, AVANCER, ESSAYER, NE PAS PASSER SES JOURNÉES À SE BRANLER, NE JAMAIS SE TROMPER DE CAUSE. Ne pas crier à l’injustice dans le monde tout en se comportant comme un connard dans la vie.” Avant de l’avoir au bout du fil, on trépignait d’avance de savourer cette prose assassine qu’il a tant maniée par le passé. Mais à l’entendre aujourd’hui, Thomas Ngijol semble avoir trouvé la foi. Quand on lui parle de la sacrosaint­e subversion de l’humoriste, le stand-upper se tempère. Lui préfère insister sur l’idée flottante de “vérité”, celle d’un “amusement qui ne se calcule pas”, d’un humour limpide qui toucherait le public droit au coeur, boum : “... l’éclate !”

Son discours est sans détour, ses conviction­s solides, sa parole celle d’un mec qui aurait vécu l’épiphanie. D’ailleurs, Selon Thomas, ça sonne comme un évangile. Cette messe du vendredi soir signe le come-back sur la chaîne cryptée de l’ancien flingueur de stars du

Grand Journal. Un sketch-show en public d’une vingtaine de minutes où s’enlacent digression­s sur scène, satire de l’actualité et concerts intimistes. Une sorte de “Friday Night Live” mâtiné d’une ambiance café-théâtre à la cool qui

– aucun hasard – nous renvoie à l’humeur familiale du Jamel Comedy Club.

“On est super loin du ‘Ngijol Show’, quand même !”, se gausse d’ailleurs l’intéressé quand on s’amuse à voir en ce titre un bel ego trip. “J’espère que les gens comprendro­nt la dimension humaniste du programme derrière ce léger narcissism­e. Je ne voulais pas rentrer dans la facilité, le prétentieu­x et le ringard. Selon Thomas est un challenge, une grande cour de récré, une forme de lâcher-prise total. J’avais envie de faire de la télé sans jamais avoir la sensation de faire de la télé”, explique-t-il. Sans désavouer l’influence des shows d’outre-Atlantique, il nous rassure : pas question pour lui de “la jouer à l’américaine”.

Ardu d’ailleurs de dire à quoi joue Thomas Ngijol, figure aguerrie du one-man-show, évadé des salles obscures depuis quatre ans déjà, de retour sur le PAF pour “faire du sale !”, micro en main comme un freestyler en feu. Face à une marelle, on l’imagine bifurquer hors des cases. Les règles du jeu, il les invente. Ainsi, s’il fait de l’affaire Weinstein le ressort de gags grinçants, le premier porc qu’il balance… n’est autre que lui-même. Sous couvert d’un schizo “Thomas Ngijol,

vous êtes une ordure !”, l’humoriste déplore la banalisati­on du harcèlemen­t sexuel en osant le burlesque.

Il fuit l’argument du “on ne peut plus rien dire” et cale son irrévérenc­e sur l’éveil des mentalités suscité par la révolution MeToo. “C’est un mouvement qui a changé le cours de notre société.

Je ne veux pas sombrer dans le sensationn­el et te faire croire que je vais là où personne n’ose aller. Au contraire, cela nous touche tous, car on est tous l’enfant d’une mère”, raconte-t-il sans désavouer “cette angoisse que ce que je dis ne soit pas bien compris”.

Il faut dire que l’humour “selon Thomas” est toujours sur le fil. C’est un dribble footballis­tique entre dérision et lucidité, du genre “conscient, mais nique ta mère !” Du rire de funambule qui “touche à la complexité des choses”, brodé par un électron libre qui alimente sa playlist saisonnièr­e avec les câlinades de daronnes du Duc et la douceur pianotée d’une Juliette Armanet. Deux salles, deux ambiances.

Car l’éclectique refuse les cases et, s’il s’attaque à des sujets sensibles, ni posture forcée ni agressivit­é surfaite ne s’immiscent dans sa revue d’actus.

“Je vais pas hurler ‘hypocrites !’, parler en mec en colère, en révolté contre tout, car je suis un privilégié. Mais mon humour possède une conscience, celle de la société dans laquelle je vis”, explique-t-il. De l’eau a coulé sous les ponts depuis les rounds en plateau de l’ère Denisot – le roasting de Doc Gynéco, les saillies cinglantes assénées à Sarkozy, les vannes complices décochées à Chris Rock. Sans réduire ce rodage à l’adage du “jeune et con”, le punchliner le confesse : “Tu ne peux pas continuer ce genre de choses quand tu es père de famille. Avec le temps, tu gagnes en sagesse.”

Celui qui dans une autre vie boxait NTM devant les caméras n’a pas pour autant raccroché les gants. Il sait que pour être drôle, “il faut se faire violence”. Seulement, avec cette émission “libérée sexuelleme­nt et culturelle­ment”, il ne s’agit plus de flinguer à tout-va. Juste de bien viser. “Sans se prendre la tête, il faut rire intelligem­ment. Oui, on peut tout dire, mais avec recul, sans tirer sur les ambulances ou sortir des lieux communs”, théorise-t-il.

Des lieux communs, il en a soupé, lui, Français d’origine camerounai­se, grande gueule de la bande à Jamel tantôt catégorisé comique de banlieue (il a grandi à Maisons-Alfort), tantôt bobo de Bastille (il vit dans le XIe arrondisse­ment de Paris). “Tout ça, ce n’est plus mon combat, je suis pour le refus des étiquettes”, assure-t-il. D’où l’aspect défouloir d’un show taclant aussi bien cette télé-spectacle soumise aux clashes – le temps d’un désopilant pastiche du Canal Football Club – qu’un certain cinéma social bien-pensant traversé d’“histoires has been de ‘gentils Noirs’ qui ne rassurent que la vieille France”.

Nul hasard à voir Orelsan achever la première de l’émission sur son crépuscula­ire Quand est-ce que ca s’arrête. Dans la semi-pénombre des studios de Boulogne-Billancour­t, ces lyrics affectés semblent directemen­t s’adresser à l’humoriste. On l’imagine opiner du chef à chaque sentence désabusée d’Orel, cinglant l’hypocrisie d’un show-business si nauséeux sous ses paillettes. Piochant ses mots avec précaution, il contredit pourtant l’hypothèse. Non, il n’est “pas lassé par le système” et fait son débriefing sans le moindre grief. “Lorsque tu entres dans ce métier, c’est vrai que tu as des images plein l’esprit et que tu n’es pas prêt. Il te suffit d’être un tant soit peu lucide pour vite déchanter,” avoue-t-il avant de se modérer : “Mais après des années dans ce milieu, je n’irais pas moi aussi jusqu’à dire : ‘quand est ce que ça s’arrête ?’ Cette question est notre moteur à tous, ce qui nous permet de continuer. Le plus dangereux, c’est le confort.”

On a l’impression que le nouveau Thomas Ngijol pense “positive attitude”.

“Je n’essaie pas d’être une autre personne que moi, sinon je vais sonner faux” THOMAS NGIJOL

Un artefact. C’est surtout qu’il carbure aux paradoxes. Car il en est un vrai, ambulant. Si dans son show il cabotine, c’est toujours pour mieux suggérer, et s’il fanfaronne dans la fiction, c’est pour se raconter sans filtre, se foutre à poil. Se regarder jusqu’à la névrose, au fond, très peu pour lui. L’essentiel est surtout de se reconnaîtr­e dans le miroir, car “si un gars avec qui tu as grandi te dit ‘t’es devenu une merde’, ça fait très mal !” A propos du strass encore, il persiste et signe : “Ce que tu me racontes, ça fait partie de la vie, mais ce n’est pas ma vie.” Pour cause, le Thomas antipathiq­ue d’Inside Jamel Comedy Club, fabuleuse minisérie coscénaris­ée par Blanche Gardin, est à mille lieues de celui qui nous parle en ce moment. Le (faux) salaud qui semblait, il n’y pas si longtemps, siroter son cynisme jusqu’à l’ivresse serre désormais contre lui sa sérénité. Lucide, il accueille son retour sur le PAF comme une parenthèse enchantée. Une jubilation, oui, mais pas une consécrati­on. Mais alors, qu’est-ce qui fait briller ses yeux ? Animer sa propre émission télé, ce n’est ce pas ça, son rêve d’enfant ? “Il y a quelques années, j’aurais pu te dire ça. Mais à l’heure où je te parle, j’ai laissé ces rêves à mes propres enfants”, achève-t-il sur le ton du daron.

L’artiste a beau déjà nous parler d’héritage, la fête est loin d’être finie pour lui. Son futur projet, Black Snake, n’est rien de moins que “le premier film de superhéros africain”. Un exercice de style “à la Hancock” qui tombe à pic à l’heure où Black Panther a contribué à normaliser les cultures africaines au sein des multiplexe­s. Cet “ovni politico-comique” est prévu pour la rentrée prochaine. Mais même à jouer les justiciers, Thomas Ngijol n’oublie pas qui est derrière le masque. Jamais. “Je n’essaie pas d’être une autre personne que moi, sinon je vais sonner faux. Je sais qui je suis. J’ai envie d’être vrai dans ce que je fais. Je suis dans le concret aujourd’hui. Je ne me retourne pas, j’avance.”

Selon Thomas Tous les vendredis, 22 h 50, Canal+

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Avec Orelsan lors de la première de Selon Thomas
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