Les Inrockuptibles

Benoîte Groult

Journal d’Irlande – Carnets de pêche et d’amour, 1977-2003

- Sylvie Tanette

Grasset, 432 p., 22 € Le sexe, la vieillesse, le couple : l’écrivaine et féministe s’est confiée là avec une honnêteté rare et salutaire. Passionnan­t. On se doutait que Benoîte Groult, morte en 2016, était une femme passionnée, on ne savait pas forcément que ce pouvait être par la pêche. C’est pourtant ce qui ressort des écrits regroupés ici par sa fille, Blandine de Caunes. Mais pas seulement : ils disent aussi sa passion pour l’Irlande, où elle avait une maison, et pour deux hommes, son mari et son amant. Journal d’Irlande est un ensemble de textes construit à partir de fragments issus de trois corpus. L’auteure d’Ainsi soit-elle tenait en effet des carnets de pêche en parallèle de deux journaux intimes, l’un étant plus secret que l’autre, ainsi que le raconte sa fille dans une préface. Les extraits choisis ont été écrits dans leur grande majorité en Irlande, où Benoîte Groult passait ses étés, recevant la visite de proches comme, entre autres, François Mitterrand. Mais les célébrités n’occupent pas une grande place et ces textes permettent au contraire de découvrir l’écrivaine loin de toute activité journalist­ique et éditoriale parisienne. L’intérêt du livre tient particuliè­rement au fait qu’il commence alors que la romancière féministe approche les 60 ans, et qu’on la voit s’interroger année après année sur les effets de l’âge sur son corps, et sur sa façon de vivre. “Je suis entrée dans un nouveau pays”, confie-t-elle à 80 ans. Elle réfléchit à son rapport aux hommes, ce qui la relie à son mari, le romancier et journalist­e Paul Guimard, et à Kurt, l’amant américain connu à la fin de la guerre, retrouvé dans les années 1960, qui longtemps la rejoint régulièrem­ent en Irlande. Avec Paul Guimard, elle partage un compagnonn­age déjà ancien, une communauté d’esprit et d’intérêts, mais aussi des désillusio­ns et désormais l’absence de désir. Sa complicité physique avec Kurt est évidente, et elle s’en émerveille. Mais Kurt n’est pas un intellectu­el et elle ne quittera pas son mari pour lui. Ainsi, à un âge où elle peut observer son passé avec recul, Benoîte Groult réfléchit à ce qui fait que deux personnes parviennen­t – ou pas – à former un couple. Et alors que les années passent, quand il est question de vendre la maison et de ne plus retourner en Irlande, ses textes deviennent plus émouvants, parce que désormais les êtres chers disparaiss­ent un à un. “La vieillesse ? Un sujet terrible, parce qu’on en meurt à tous les coups.”

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