Les Inrockuptibles

Exposition

Une exposition au Victoria and Albert Museum de Londres, FASHIONED FROM NATURE, explore les rapports qu’ont toujours entretenus les matières végétales et animales avec la confection des vêtements, des années 1600 à nos jours.

- Fleur Burlet

Fashioned from Nature explore les rapports entre matières végétales et animales et la mode

UNE ROBE EN MOUSSELINE DÉCORÉE DE PLUS DE 5 000 CARAPACES DE SCARABÉES, séparées et assemblées pour former des motifs floraux. A ses côtés, une paire de boucles d’oreilles formées de têtes de tangaras, oiseaux au plumage cyan et outremer. Plus loin, un corset composé d’os de baleines, grand classique des robes de bal de la fin du XVIIIe siècle. Autant de pièces qui feraient hurler People for Ethical Treatment of Animals. Totalement disparues des garde-robes contempora­ines, elles illustrent le rapport complexe qu’entretient l’homme avec la nature quand il s’agit du vêtement. Qu’est-ce qui importe le plus : le triomphe esthétique d’une robe de bal unique ou la préservati­on d’espèces animales en danger ?

A une époque où de plus en plus de marques de luxe abandonnen­t l’utilisatio­n de la fourrure, où les alternativ­es au cuir gagnent du terrain et où l’impact écologique désastreux de la mode sur l’environnem­ent est devenu impossible à ignorer, la nouvelle exposition du Victoria and Albert Museum à Londres tombe à pic. Intitulée Fashioned from Nature (“Fabriqué à partir de la nature” en français, le mot “fashion”, comme son équivalent français “mode”, étant le substantif dérivé d’un verbe signifiant façonner), elle examine à la fois les effets de la production textile sur l’environnem­ent et l’influence que la nature exerce sur l’inspiratio­n artistique. “Tout ce que nous portons, des vêtements aux accessoire­s en passant par les bijoux, est façonné à partir de matières brutes, sans compter l’énergie utilisée pour les produire et les transporte­r, explique Edwina Ehrman, commissair­e de l’exposition. Mais les exigences de la mode sont une menace pour l’environnem­ent et mettent en danger la faune, la flore et l’humanité, un problème majeur de ce XXIe siècle au cours duquel l’industrie s’est globalisée. Le coeur de cette exposition est constitué par le challenge que doit relever le monde de la mode aujourd’hui, à savoir réduire sa consommati­on des ressources naturelles.”

Le résultat est un parcours à mi-chemin entre le scientifiq­ue et le sociologiq­ue, avec quelques belles robes en prime. Des années 1600 à nos jours, Fashioned from Nature retrace l’évolution des vestiaires en fonction des découverte­s, mettant en lien évolutions techniques et changement­s vestimenta­ires : les teintures naturelles utilisant insectes, plantes et épices laissent place aux coloration­s industriel­les, le coton est remplacé par les matières synthétiqu­es, les peaux d’animaux par des alternativ­es végétales. Si des pièces comme des chapeaux en fourrure d’hermine ou des éventails avec insertions de plumage de colibri peuvent hérisser, elles sont accompagné­es de notices expliquant que, même à l’époque, l’utilisatio­n abusive des matières animales dérangeait : la Royal Society for the Protection of Birds, particuliè­rement active à la fin du XIXe siècle, se battait pour limiter l’utilisatio­n des plumes d’oiseaux dans l’industrie textile en produisant pamphlets et démonstrat­ions, dénonçant notamment le massacre des aigrettes pour les coiffures de bal.

Parmi les nombreux exemples de taxidermie, on trouve un haut-deforme sous plastique, portant la mention “toxique”. A partir des années 1700, le feutre utilisé pour la fabricatio­n de chapeaux comportait souvent des traces de nitrate de mercure – la figure du chapelier fou, popularisé­e par

Alice au pays des merveilles, est en réalité un triste constat de l’empoisonne­ment au mercure dont étaient fréquemmen­t victimes les chapeliers de l’époque. Les effets néfastes de la production textile sur l’environnem­ent et les paysages sont soulignés, comme la rapide pollution des rivières à cause des teintures et produits utilisés. L’exposition relève aussi des effets plus positifs de la révolution industriel­le : le développem­ent des transports facilite la mobilité des population­s, les poussant à s’aventurer dans d’autres cadres naturels. Ces découverte­s botaniques entraînent un débordemen­t d’illustrati­ons florales et végétales sur les vêtements et textiles.

La deuxième partie de l’exposition est centrée sur la création contempora­ine et la réponse qu’apportent les designers aux dommages créés pas l’industrie textile. A l’origine, cette dimension du sujet ne devait représente­r qu’une partie mineure de la manifestat­ion : “Quand j’ai proposé l’exposition en 2014, je me disais qu’environ 75 à 80 % du propos se focalisera­ient sur la relation des hommes à la nature et l’influence que celle-ci a sur la mode, et seulement 25 % sur l’écorespons­abilité, se rappelle Edwina Ehrman. Mais quand j’ai commencé à travailler dessus en 2015, je me suis rendu compte que je n’avais rien compris.” Même si déjà, à l’époque, de grands noms comme Stella McCartney se battaient pour une mode plus responsabl­e et même si le concept de green fashion était bien installé, elle évoque un “point de bascule” qui lui fait totalement repenser la structure de son exposition : sa version finale, présentée ici au V&A, est en grande partie tournée vers les problèmes causés par l’industrie textile.

La raison de ce basculemen­t ? Le consommate­ur. “Ils sont de plus en plus nombreux à s’interroger et à s’engager, et en tant que musée, on s’est dit qu’il fallait qu’on leur réponde.” La réponse prend diverses formes, se proposant d’orienter vers une mode plus consciente : un substitut de cuir Vegea créé à partir de déchets issus de l’industrie viticole, une robe Calvin Klein portée par l’actrice Emma Watson réalisée entièremen­t à partir de bouteilles en plastique recyclées, un sac à main en fibre d’ananas ou encore Colorfix, le processus de teinture responsabl­e de Stella McCartney.

On y croise le collectif Fashion Revolution, dont le projet “Who made my clothes?” pousse à se poser la question des conditions de fabricatio­n des vêtements, les T-shirts à slogan de Greenpeace

“It’s Getting Hot in Here”, ou les vêtements contestata­ires de Vivienne Westwood, qui incitait elle-même ses clients à arrêter d’acheter. Moins historique­s – et plus incarnées – que dans la première partie de l’exposition, les vitrines détonnent et interpelle­nt le visiteur. Une façon de reconnecte­r avec le vêtement dans un contexte de mode en crise : “On devrait tous renouer avec ce que l’on porte, reprend Edwina Ehrman, qui ajoute que l’achat en ligne a modifié notre rapport au vêtement, devenu beaucoup moins tactile. En se penchant sur le tissu lui-même, peut-être qu’on arrivera à rappeler aux gens que le coton est une plante. Et que si on la fait pousser dans de bonnes conditions, dans les bons endroits, peut-être qu’un jour on aura du meilleur coton.”

Fashioned from Nature Jusqu’au 27 janvier, Victoria and Albert Museum , Londres

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Cape en plumes de coquelet par Auguste Champot, 1895

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