Les Inrockuptibles

Monkeys en captivité

- JD Beauvallet

Souvent, en interview, je glisse cette question aux groupes devenus massifs : “N’avez-vous pas l’impression de piloter un paquebot trop gros pour vous, impossible à manoeuvrer ?” Alex Turner m’avait répondu que les Arctic Monkeys étaient devenus “trop contraigna­nts, trop lourds à bouger” et citait en contre-exemple ses Last Shadow Puppets, décrits comme

“une échappatoi­re à la notion même de groupe, un espace de liberté”. Alors que sort Tranquilit­y Base Hotel & Casino, le jeune homme à la carrière déjà riche de neuf albums peut mesurer la facilité, la légèreté avec laquelle il a pourtant dévié ses Arctic Monkeys de leur train-train. C’est sans doute d’ailleurs son premier album solo, en forme de guérison d’une bipolarité qui nourrissai­t jusqu’ici les carrières parallèles de ses deux groupes. Mais à en lire les critiques, et surtout les réseaux sociaux, il ne fait pas bon s’aventurer hors de son pré carré lorsqu’on fait du rock. Comme si le pauvre Turner portait sur ses seules épaules le présent et l’avenir du rock à guitares, comme s’il en était le garant, voire l’élu, on ne lui pardonne visiblemen­t pas d’avoir composé au piano, d’avoir remisé les guitares, d’avoir tout simplement tenté d’évoluer. On peut s’étonner de cette habitude désormais documentée qui interdit aux groupes de rock d’aller voir ailleurs si par hasard leur inspiratio­n, leur plaisir et leur futur (le syndrome Strokes) n’y seraient pas ; alors que justement, on exige des stars du hip-hop (le syndrome Kanye) un renouvelle­ment systématiq­ue. On a déjà ici évoqué l’influence du jeune Bowie sur Tranquilit­y Base Hotel & Casino. Souvenons-nous que chacun de ses albums des seventies claquait la porte du précédent, réinventai­t son univers et ses codes. Puisse Alex Turner lire cette odyssée, plutôt que le conservati­sme paralysant des réseaux sociaux.

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