Les Inrockuptibles

Prises de bec

MICHEL PIRUS reprend son personnage de Canetor, le palmipède passionné par le bricolage. Un ton cinglant soutenu par un humour pince-sans-rire.

- Anne-Claire Norot

COCRÉÉ EN 2006 PAR PIRUS ET CHARLIE SCHLINGO, dont ce sera le dernier livre avant son décès, le premier tome de Canetor parodiait la BD animalière des débuts du XXe siècle. Revenant au dessin, qu’il avait délaissé depuis 2006 au profit de l’écriture des scénarios de la série Le Roi des mouches, dessinés par Mezzo, Michel Pirus ranime aujourd’hui cet antihéros, lointain cousin de Donald Duck.

Canetor, canard un peu indolent, a pour unique ambition de mener une vie tranquille et d’échapper tant à l’emprise de sa soeur, Canetorine, une vraie harpie qui l’exploite et le maltraite, qu’au romantisme niaiseux de sa dulcinée Canetorett­e. Pour éviter de se retrouver en leur présence, Canetor s’adonne à sa passion pour le bricolage. Mais un jour, il découvre par accident qu’une belle et jeune canette, Carlotta, partage son hobby. Canetor, amoureux, pourra-t-il enfin changer le cours de sa vie ?

Au fil de gags en deux pages, quiproquos et malentendu­s se succèdent, faisant du canard ingénu le dindon de la farce. Pirus passe d’un registre d’humour à un autre – burlesque, absurde… Laissant libre cours à sa poésie loufoque, il entrecoupe ses planches de séquences de rêves où l’on retrouve les compositio­ns spectacula­ires, les jeux de perspectiv­e et d’échelle et le réveil final du héros chers à Little Nemo.

Winsor McCay n’est cependant pas la seule influence de Pirus. La ligne claire bien nette, le trait précis, les couleurs franches en à-plats, la géométrie des lignes font aussi immanquabl­ement penser à Chris Ware, voire à Jason, Charles Schulz ou même la série Happy Tree Friends. Comme chez ces derniers, le détonnant mélange de rigidité et de fantaisie accentue l’aspect pince-sans-rire du récit.

Mais derrière ce côté malicieux, Michel Pirus prête à ses personnage­s des comporteme­nts et sentiments systématiq­uement négatifs (jalousie, faiblesse, tyrannie, mesquineri­e, tendance à la manipulati­on…), rendant son récit beaucoup plus décapant qu’il n’en a l’air. Et ce sont de vraies réflexions sur la solitude, l’incompréhe­nsion et l’incommunic­abilité qui soustenden­t cette farce faussement gentille.

Brico Queen (Glénat), 96 p., 25 €

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