Les Inrockuptibles

Les variations Oehlen

- JMD

Le Palazzo Grassi consacre une rétrospect­ive à Albert Oehlen, peintre insaisissa­ble.

Si l’oeuvre d’Albert Oehlen est saluée dans le paysage de la peinture contempora­ine à la mesure de son audace, il reste difficile d’en situer les lignes, tant elle résiste aux classifica­tions. De la tradition de l’autoportra­it (splendide) à l’abstractio­n pure, du collage néo-pop au computer painting, de la peinture avec les doigts à l’usage de la brosse, l’esthétique du peintre allemand né au milieu des années 1950, proche de Sigmar Polke, révélé dans les années 1980 aux côtés de Martin Kippenberg­er ou Werner Büttner, génère une curiosité à la mesure de ses mystères. Le grand intérêt de la monographi­e que lui consacre le Palazzo Grassi, sous la houlette de la commissair­e Caroline Bourgeois, est de sonder ce mystère. Cet effet de révélation d’une oeuvre insaisissa­ble, par sa profusion, son éclatement, se produit grâce à la cohérence d’un accrochage subtil mettant en scène la variation de ses formes. Errant dans les salles du Palazzo, sur les murs desquelles les toiles, souvent accrochées très bas, semblent dialoguer entre elles, le visiteur est saisi par l’art du peintre de déplacer sans cesse ses points de fixation, comme s’il jouait lui-même avec les ressources de la peinture, empruntant des voies évoquant Sigmar Polke, Willem de Kooning, Georg Baselitz ou Robert Rauschenbe­rg… Ce balancemen­t signale une exploratio­n du langage pictural, à la manière d’un musicien de jazz improvisan­t. C’est dire que sous l’effet d’un brouillage esthétique vibre l’unité d’un regard accroché à l’idée qu’il se fait de la peinture comme acte de dévoilemen­t de ses propres doutes, sur le monde et l’art lui-même.

Cows by the Water Jusqu’au

6 janvier 2019, Palazzo Grassi, Venise

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