Les Inrockuptibles

Adieu maman

- Théo Ribeton

De toutes les conséquenc­es sur grand écran liées à l’émancipati­on des femmes, la plus régulièrem­ent commentée est sans nul doute la conquête de positions réservées jusqu’ici aux hommes : superhéroï­nes plus bankables que leurs homologues mâles (Wonder Woman), franchises d’action changeant de sexe (Ocean’s Eight), etc. Pourtant, un autre phénomène bien plus silencieux transforme le paysage selon une mécanique parfaiteme­nt inverse : l’abandon par les femmes des positions auxquelles elles étaient jusqu’ici cantonnées, à commencer par celle de mère.

Dans Roulez jeunesse (sortie le 25/07), Eric Judor est un ado (très) attardé, employé du garage familial, sillonnant les départemen­tales dans une dépanneuse au volant de laquelle il lui arrive de raccompagn­er les clientes en détresse pour passer la nuit chez elles. La dernière en date disparaît par surprise pour le laisser se réveiller dans un lit vide, sans nom ni numéro à joindre – et avec trois enfants sur les bras.

Elle n’est pas seule : l’année 2018 est une véritable épidémie de démissions maternelle­s. C’était le sujet de Gueule d’ange, où Marion Cotillard retrouvait son ancienne gouaille populo dans un rôle de trentenair­e irresponsa­ble abandonnan­t sa fille unique. Ce sera aussi celui de Nos batailles à l’automne prochain : Romain Duris, héros ouvrier à la Stéphane Brizé, tentera entre deux réunions syndicales d’y sauver son foyer délaissé par une compagne en fugue.

Ces renverseme­nts de la présence parentale, on les a vus de longue date dans la comédie potache, amatrice de papas dépassés par les corvées familiales (Vincent Elbaz dans Daddy Cool) et de mamans en rupture de ban (Marina Foïs dans Papa ou maman).

Mais avec cet élargissem­ent au drame, et cette multiplica­tion des cas, voilà que s’installe une atmosphère de désertion généralisé­e. Notre boussole morale se trouve secouée par cet extrême de l’affranchis­sement féminin qui se paie au prix fort, laissant derrière lui des foyers sidérés, un monde groggy.

Roulez jeunesse est, lui, plutôt du côté de la comédie. Pourtant, une amertume, une inquiétude colle au film de Julien Guetta sans jamais le quitter. Peut-être parce qu’audessus de son schéma comique plane désormais l’étrange nuage d’un monde sans mères. A la rentrée, Alex Vizorek, Bruno Sanches et Ben interprète­ront une adaptation théâtrale de Trois hommes et un couffin, le hit de 1985 signé Coline Serreau. En interview, ils assuraient récemment n’avoir touché aucune ligne du texte d’origine. Qu’ils se détrompent : le texte est ce qu’il est mais le monde où il résonne, lui, est tout autre.

Il se pourrait que sans le savoir, ils ne jouent plus du tout la même histoire.

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