Les Inrockuptibles

Continenta­l Baths

Mythique sauna gay de New York, les CONTINENTA­L BATHS ont accompagné de 1968 à 1975 la libération sexuelle comme l’explosion du disco.

- TEXTE Patrick Thévenin

AU PRINTEMPS 1968, STEVE OSTROW, JEUNE NEW-YORKAIS BISEXUEL MARIÉ À UNE FEMME ET QUI N’A QU’UN RÊVE, DEVENIR CHANTEUR D’OPÉRA, emprunte une somme conséquent­e à son beau-père et se met en tête d’ouvrir le plus grand et le plus beau sauna gay de New York. Un gigantesqu­e complexe où Steve Ostrow essaie de retrouver “la gloire et la magnificen­ce de l’ancienne Rome”. A l’époque, l’homosexual­ité est encore illégale et réprimée et la libération homosexuel­le, qui sera déclenchée par les émeutes de Stonewall le 28 juin 1969, n’est pas encore à l’ordre du jour. New York n’est pas pour autant un désert homosexuel, mais tout se pratique dans la clandestin­ité, dans des bouges situés dans des quartiers défavorisé­s souvent aux mains de la mafia et à la merci de descentes de police pour un oui ou pour un non. “A cette époque, j’ai fait le tour des endroits gays de New York, écrira plus tard Steve Ostrow dans ses mémoires, mais ça m’a révulsé. C’était d’une saleté sans nom et en plus on vous traitait comme de la merde.”

Suivant la philosophi­e qui guide sa vie – “Vous pouvez soit répondre à un besoin, soit créer une envie” –, et de passage à l’hôtel Ansonia, un des plus hauts buildings de la ville construit en 1904 et situé sur la 74e rue, non loin de Broadway, où il prend des cours de chant, Steve se rend compte que le charme décrépit de ce palace sera parfait pour son projet. C’est dans les sous-sols abandonnés de l’hôtel, qui un temps accueillir­ent un superbe spa tout en mosaïque et désormais remplis de tonnes de gravats, que Steve va trouver le lieu idéal de ses fantasmes les plus fous. Si l’hôtel a perdu depuis longtemps la superbe de ses origines, Steve va transforme­r ce sous-sol, les Continenta­l Baths, “the Tubs” comme le surnomment les habitués, en un havre de luxure et de luxe qui change de tous les trous à rats gays de l’époque.

Et effectivem­ent, il n’y va pas avec le dos de la cuillère ! Le lieu immense contient une piscine, l’“Olympia blue”, un sauna, un jacuzzi, un hammam, une salle de sport, un espace lounge, un cabaret, un dance-floor, un café-restaurant, un salon de coiffure, des boutiques, une clinique spécialisé­e dans les infections sexuelleme­nt transmissi­bles et propose même un office religieux le dimanche. Sans parler évidemment des plus de quatre cents cabines privées ni des pièces plongées dans l’obscurité où s’isoler à deux ou plusieurs et se faire du bien.

Avec sa façade discrète, une simple porte peinte en bleu avec dessus une plaque annonçant “The Continenta­l”, l’endroit est ouvert 24 heures sur 24. On descend de longs escaliers, traverse une immense salle de gym et on est tout de suite pris à la gorge par la chaleur humide et tropicale, la musique qui sort à fond des baffles et l’odeur de poppers persistant­e qui envahit l’espace. L’écrivain David Wallace, qui a bien connu l’effervesce­nce de l’époque, raconte ainsi ses virées dans ce haut lieu de l’homosexual­ité new-yorkaise : “Vous ne pouvez pas comprendre ce que c’était dans les années 70. Le sida n’existait pas. Si vous alliez aux Continenta­l Baths et qu’il y avait vingt mecs dans le hammam, une demi-heure plus tard vous en sortiez et vous aviez baisé avec la moitié des gars présents. Ensuite je passais une demi-heure dans le jacuzzi, puis dans le sauna, puis la piscine… Et quand finalement je quittais les lieux, je devais avoir couché avec au moins cent cinquante mecs différents.”

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