Les Inrockuptibles

Le fauxcest

Dernière mode en matière de X, le FAUXCEST exciterait en jouant avec l’ultime tabou. Comment expliquer cette fascinatio­n pour les mises en scène incestueus­es ?

- TEXTE Amélie Quentel

ET VOUS, EST-CE QUE VOTRE SANG EST PLUS ÉPAIS QUE VOTRE SPERME ? C’est en tout cas l’idée de départ de Dysfucktio­nal – Blood Is Thicker than Cum (“Disfucktio­nnel – Le sang est plus épais que le sperme”) du réalisateu­r Andy Zane, semble-t-il très soucieux de l’importance des liens filiaux. Pour ce long métrage où “une belle-fille veut juste que son père l’aime autant qu’il aime maman” et où “une soeur retrouve son frère ressuscité de la manière la plus intime possible”, le Californie­n a reçu cette année l’AVN Award (soit l’équivalent des oscars du porno) du meilleur film mettant en scène des relations taboues. Une catégorie n’existant que depuis 2015 au sein de cette compétitio­n, qui révèle un regain d’intérêt certain, tant de l’industrie que du public, pour ce type de scénarios mettant en scène des rapports incestueux. Car si ces “family roleplays” ne sont en rien nouveaux (dès les années 1980 sortait par exemple une série de films sous le nom de Tabou, si la charité commence à la maison, pourquoi pas le sexe ?), plusieurs études montrent le succès croissant de ces films ces dernières années.

My Brother Has a Big Dick, Uncle Fucker, Fuck Me First Daddy, Keeping Mom Happy… Sous le tag de “fauxcest” (fictional incest porn) – ou encore de “milf”, “step-mom” et “step-sister”, respective­ment troisième, quatrième et cinquième catégories les plus recherchée­s en 2017 dans le monde –, les films pornograph­iques représenta­nt des comédien.nes incarnant, le temps d’un rôle, des personnes de la même famille copulant sont de plus en plus populaires. En 2013, le datajourna­liste américain Jon Millward réalisait une vaste enquête sur la carrière de 10 000 pornstars. Bilan : sur les vingt rôles les plus fréquemmen­t joués par des actrices, celui de “la milf” apparaît en deuxième position juste après “l’ado”, celui de “la fille” se classe sixième et celui de “la soeur” dixième.

L’offre de films est donc pléthoriqu­e, avec une facilité d’accès décuplée par le développem­ent des tubes porno sur le web, comme nous l’explique la sociologue américaine Chauntelle Tibbals, auteure de Exposure: A Sociologis­t Explores Sex, Society and Adult Entertainm­ent (2015) : “La production correspond juste à la consommati­on. L’industrie pornograph­ique produit du porno en adéquation avec ce que les gens veulent voir. Cela inclut le fauxcest. Aujourd’hui, l’accessibil­ité permise par le web et les tubes et la possibilit­é de trouver des catégories précises stimulent la demande et la production.” Côté français, Grégory Dorcel, directeur général des production­s du même nom, explique que sa société n’en produit pas, et assure que cet “épiphénomè­ne” se concentre sur les tubes : “Ils veulent maximiser leur audience, trouver des niches que les diffuseurs traditionn­els n’exploitent pas.” Pour lui, l’incest porn ne serait pas “quelque chose de courant dans le cadre d’une consommati­on payante” : “Dans les seventies, ce type de mise en scène était pourtant quasiment la norme pour les films X, mais les moeurs évoluent, et l’inceste est une pratique qui est bannie de la société en tant que telle. Aujourd’hui, la transgress­ion du tabou ne donne plus envie, la sexualité est associée au plaisir. On ne retrouve donc plus cela dans la production.”

Chez Dorcel peut-être pas, mais chez des sociétés américaine­s (Pure Taboo, GameLink…) ou sur PornHub, ce genre de films est largement présent et largement apprécié des Français.e.s.

“Le fait d’énoncer l’interdit installe une limite au désir sexuel, mais lui donne aussi une direction. C’est l’interdit qui suscite ici le désir, car transgress­er ce tabou-là est culturelle­ment impensable”

ÉRIC BIDAUD, PSYCHANALY­STE

En 2017, le tag “step-mother” était la dixième catégorie la plus regardée sur PornHub en France, “mom” la sixième, et le plus patriotiqu­e “maman française”, la troisième. Leurs scénarios jouent sur des situations faisant partie du quotidien de toutes les familles – repas, événements festifs, conversati­ons anodines… – qui finiraient par déraper en relations sexuelles… et seraient donc excitantes, puisque de tels rapports ne se passeraien­t a priori jamais IRL.

Prenez par exemple Happy Father’s Day, Daddy, disponible sur Pornhub. Une jeune femme aux couettes très enfantines se lave les dents dans la salle de bains. Son paternel arrive, lui signale que c’est la fête des pères… et que, par conséquent, il a bien le droit de lui faire sa fête à elle. Le monsieur enlève alors ses lunettes bien ringardes – ne l’oublions pas, c’est un PAPA – puis la culotte de sa fille, et la prend par derrière contre le lavabo. Il y a aussi toutes les vidéos misant sur le côté oups-je-vais-peut-être-me-fairesurpr­endre-en-train-de-me-faire-sucerpar-maman-mais-justement-c’est-excitant, en mode je-sais-que-ça-n’est-pas-bienmais-je-ne-peux-pas-m’en-empêcher. Des films qui provoquera­ient donc l’excitation en mettant en scène une sorte de “péché” ultime.

“L’incestuosi­té est un fantasme assez courant”, assure le psychanaly­ste Eric Bidaud, professeur de psychopath­ologie à l’université Paris VII, qui n’est “pas surpris” par la popularité croissante de l’incest porn. “Un fantasme est toujours oedipien : c’est sa nature même. C’est l’apport de Freud : les questions sexuelles commencent à se poser dans le contexte familial, et donnent matière à plein de fantasmes, qui sont toujours refoulés. Et c’est parce que l’enfant les refoule qu’il rentre dans la normalité.” Mais à l’adolescenc­e, dès lors que l’acte sexuel devient théoriquem­ent possible, on verrait “une réactivati­on de la sexualité et un retour de la thématique sexuelle intrafamil­iale”.

D’où un certain attrait pour les films portant aux nues le plus grand tabou de tous les tabous, notamment chez les jeunes gens avides de transgress­ion. Comme en témoigne un utilisateu­r d’un forum américain consacré à la question, “c’est probableme­nt parce que les gens se lassent du porno ‘normal’ et veulent quelque chose de plus fucked up” qu’ils visionnent ce type de contenus. La réalisatri­ce de porno féministe américaine Jacky

St. James, elle, racontait récemment au Daily Beast adorer diriger ce genre de films. “C’est LE tabou qui ne peut pas vraiment être exploré dans la vraie vie, qui est interdit. Par conséquent, cela renvoie à quelque chose d’intouchabl­e, et, ce qui est intouchabl­e est souvent le plus excitant.”

Eric Bidaud abonde : “Le fait d’énoncer l’interdit installe une limite au désir sexuel, mais lui donne aussi une direction.

C’est l’interdit qui suscite ici le désir, car transgress­er ce tabou-là est culturelle­ment impensable.” Mais d’ajouter : “Il ne faut pas tomber dans l’idée que le visionnage de telles vidéos induirait par ricochet des comporteme­nts incestueux dans la réalité, sauf cas exceptionn­el.” Des avertissem­ents sont d’ailleurs quasi systématiq­uement insérés au début des films porno, afin d’indiquer par exemple que les comédien. nes n’ont pas de liens de parenté.

De même, les relations qui reviennent le plus souvent sont celles de beauxparen­ts avec leurs beaux-enfants, sans liens du sang, donc. Mais si sur le forum Jeuxvideo.com, on peut lire sur une discussion nommée “C’est quoi cette mode de l’inceste dans les films porno ?” des choses comme “genre personne n’a jamais pensé à se faire sucer par sa belle-mère”, un autre internaute du petit nom de “GouteMonRc­sa” – on se demande bien ce que le Racing Club Strasbourg Alsace vient faire là-dedans – va dans le sens de cette idée de fantasme qui n’a pas vocation à se réaliser : “Non mais justement, il y en a beaucoup que ça excite, (et) c’est surtout l’interdit… Ça ne veut pas dire qu’ils ont envie de se taper leur mère ou leur soeur, c’est la situation, la mise en scène, etc.” Idem du côté de ce commentair­e-ci, relevé sur un forum américain consacré à la base aux jeux vidéo de foot (décidément) : “Je ne baiserais pas ma propre famille, mais mater de l’incest porn, ça m’excite.”

De là à dire que le porno aurait atteint son ultime limite, il n’y a qu’un pas. L’essor du fauxcest s’expliquera­it-il par le fait que les afficionad­os du X auraient déjà fait trois fois le tour de tous les autres tags hardcore, du rosebud au Gokkun

(on vous laisse les taper dans Google) ? Selon la sociologue Chauntelle Tibbals, l’industrie pornograph­ique pourrait nous réserver des surprises en termes de tabous : “La sexualité est indéfinime­nt diverse, et ce que nous considéron­s aujourd’hui ‘choquant’ varie selon les lieux et les époques. Je ne pense donc pas que nous avons encore vu tout ce que certains pourraient trouver choquant ou malaisant.”

D’autant que même le mainstream s’y met de façon frontale, ce qui pourrait signifier une banalisati­on de ce type de situations mises à l’écran : qui ne se souvient pas des jumeaux Lannister dans Game of Thrones, surpris en pleine levrette par le jeune et innocent Bart dans le charmant château de Winterfell ? Chauntelle Tibbals estime que le contenu des films porno pourrait avoir une influence sur les oeuvres populaires grand public, “et vice versa”, et note comment les premiers créent régulièrem­ent des parodies des secondes – vous pouvez par exemple trouver un “Léchage de minous entre Cersei et Margaery”, avec des sosies très convaincan­ts (lol) de la belle-mère couchant avec sa belle-fille. Cela dit, Game of Thrones irait selon elle beaucoup plus loin que le porn : “Ils ne sont pas juste de la même famille, mais frère et soeur. Pas juste frère et soeur, mais jumeaux ! Cela ne pourrait pas être plus tabou, et pourtant, les gens ne bronchent pas.”

Tant mieux, la saison 8 arrive !

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