Les Inrockuptibles

Zizicoptèr­e

- TEXTE Simon Clair ILLUSTRATI­ON Anna Wanda Gogusey pour Les Inrockupti­bles

Parmi les nombreuses blagues crétines de fêtes trop arrosées, celles qui consistent à SORTIR SON SEXE pour amuser la galerie ont toujours été les plus célèbres. Mais des soirées trop coincées jusqu’aux sphères BDSM, tout le monde ne goûte pas forcément aux joies du kiwi ou de l’hélicoptèr­e.

IL SAVAIT QU’IL N’AURAIT PAS DÛ VENIR CE MATIN. Comme presque toutes les fêtes qui suivent les examens du bac, la soirée de la veille a été beaucoup trop arrosée. En passant l’imposant portail du lycée Pierre-Corneille de Rouen, Thomas1 a donc un furieux mal de crâne. Même s’il ne se rappelle pas clairement de tout, l’adolescent a tout de même quelques souvenirs un peu embarrassa­nts en tête et il espère que l’alcool aura suffi à effacer la mémoire de tout le monde ce samedi matin. Raté. A peine arrivé dans la cour du lycée, il remarque tout de suite que les gens autour de lui ne parlent que de ça. La veille, un mec se serait amusé à montrer un de ses testicules à tout le monde sur le parvis de l’hôtel de ville où se tenait la soirée. Miraculeus­ement, personne ne semble se rappeler clairement de qui il s’agissait. Apparemmen­t, des photos ont pourtant été prises et circulent maintenant d’un portable à l’autre.

Thomas n’en mène pas large. Surtout quand l’un de ses amis lui tend son téléphone pour lui montrer la photo en question. Coup de chance, comme l’image est mal cadrée et prise de loin, on ne distingue pas le visage du petit blagueur exhibition­niste. “Je ne me souvenais pas vraiment être allé aussi loin, raconte aujourd’hui Thomas avec un sourire gêné. Ce qui est sûr, c’est qu’à un moment j’ai sorti mes testicules et que ça a créé un effet de masse énorme. Une cinquantai­ne de personnes ont fini par se mettre autour de moi pour regarder. Le lendemain, les gens du lycée avaient pourtant l’air d’avoir oublié que c’était moi qui avait fait ça. Mais je me sentais vraiment ridicule. Evidemment, personne n’a envie de se faire reluquer les testicules par toute la ville. Surtout que moi, j’avais un problème à ce niveau-là.”

Car si Thomas est l’objet d’un tel spectacle, c’est parce que son testicule droit souffre d’hydrocèle, une sorte d’accumulati­on de liquide qui occasionne une importante augmentati­on du volume de la bourse. Au point de faire “quasiment la taille d’un ballon de handball”, selon l’intéressé. Depuis, Thomas a réitéré l’exploit un bon nombre de fois, mais il a pris soin de le faire dans des cercles plus restreints, seulement pour faire rire quelques potes. Et si celui que ses amis surnomment “GC” – pour “Grosse Couille” – s’est maintenant fait opérer pour perdre du volume, il avoue qu’aujourd’hui encore, si quelqu’un vient le défier au milieu d’une soirée sur la taille de ses testicules, il n’hésitera pas à remettre le couvert pour faire rire la galerie. Après tout, il y a presque soixante-dix ans, Jean Genet écrivait dans Journal du voleur : “Les femmes avancent bien en présentant les nichons, elles paradent avec. Mes couilles, j’ai bien le droit de les offrir, de les mettre en avant, de les présenter sur un plateau.”

TOURNÉE GÉNÉRALE

Cette mauvaise blague qui consiste à sortir ses testicules (mais pas le reste) pour amuser l’assistance a un nom : le kiwi. Pratiquée depuis longtemps dans les soirées trop arrosées, elle a même donné naissance ces dernières années au nutscaping, une variante encore plus potache et taillée pour les réseaux sociaux. Le principe est simple : poster sur internet la photo d’un joli paysage naturel tout en laissant apparaître dans un coin du cadre un discret morceau de testicule. Mais à ce jeu de l’exhibition paillarde de ses attributs sexuels, le champion toutes catégories reste

“Lors d’une soirée, j’ai lancé un hélicoptèr­e sur dix mecs en même temps. Les demoiselle­s dans l’assistance n’en croyaient pas leurs yeux”

LOLITA, ÉDUCATRICE SEXUELLE BDSM

l’hélicoptèr­e. Sans doute à cause de son sens aigu de l’indécence et du ridicule, puisqu’il consiste à faire tournoyer son sexe dans les airs à la manière d’une hélice. Steven ne s’en cache pas, ce genre de plaisanter­ie grivoise l’a toujours fait beaucoup rire. Originaire de Tampa en Floride, cet Américain de 32 ans a longtemps enchaîné les soirées au sein des fraternité­s de son université. Désormais ingénieur et tout jeune père de famille, il reconnaît que ces fêtes allaient parfois un peu trop loin :

“Il y a une dynamique collective qui pousse tout le monde à en faire toujours plus. Plus c’est subversif et idiot, plus c’est drôle. Il m’est donc arrivé quelques fois de faire l’hélicoptèr­e, comme d’autres s’amusaient à faire des bifles à ceux qui s’endormaien­t ou à tremper leur bite dans la bière de ceux qui étaient partis aux toilettes.”

Un sens de la crétinerie qui a valu à l’hélicoptèr­e un bon nombre de parodies, dont les plus célèbres restent en France la chanson Zizicoptèr­e de Sébastien Patoche ou, aux Etats-Unis, celle du trio The Lonely Island, qui chantait en 2013 : “To impress a chick : helicopter dick !”

Une pratique typiquemen­t masculine ? Pas vraiment, il n’y a qu’à voir le nombre de poitrines dénudées et de fesses en string qui déambulent à la vue de tous lors du Hellfest. Ou, il y a quelques années, la série télévisée américaine

Girls Gone Wild, qui s’était même fait une spécialité des femmes montrant leurs attributs en soirée. “Dans ce cas-là, il y a une sorte de revanche sur la société patriarcal­e. Mais ça joue aussi sur les mêmes ressorts que chez les hommes : une façon de conjurer la mort, les échecs possibles de la sexualité, le côté possibleme­nt aliénant du rapport aux autres”, explique le sociologue et anthropolo­gue Christophe Colera, auteur de l’essai La Nudité : pratiques et significat­ions (Editions du Cygne, 2008).

Mais derrière ce grand concours général d’exhibition, Thomas avoue que se joue aussi un certain besoin de reconnaiss­ance, à un âge où personne n’est vraiment sûr de soi : “Sortir son sexe, c’est un peu la solution de facilité pour être le plus marrant. A l’époque, je manquais un peu de confiance en moi, je n’avais pas forcément d’anecdotes incroyable­s à raconter et j’avais une vie de lycéen très classique. Du coup, sortir mon testicule était un peu ma petite touche à moi. Ça faisait toujours rire tout le monde et ça me gonflait un peu l’ego.”

Christophe Colera confirme que beaucoup de choses peuvent se projeter dans cette dénudation ludique :

“Il y a le rêve d’innocence d’Adam et Eve, la volonté de créer des complicité­s par-delà les convention­s, de valoriser la jeunesse de son corps par-delà la vieillesse et la mort qui le guettent, et qu’on exorcise sur le plan imaginaire le temps d’un clin d’oeil à ses amis. A cela s’ajoute l’humour qui désamorce la violence. Or on sait quelle charge de violence porte la sexualité. On aime rire de ce qui fait peur. Là, on dit ‘Au fond ce n’est que ça, et on peut en jouer.’”

Et s’il est bien un milieu où l’on aime jouer avec tout ça, c’est celui du BDSM.

LES DÉLICES DE L’HÉLICE

Le principe de l’hélicoptèr­e n’a en effet rien de nouveau et il ne se pratique pas qu’en bandes de mecs. Surtout, il peut être on ne peut plus sérieux. Originaire de Leicester en Angleterre, Jason a aujourd’hui 68 ans et il n’est pas près d’oublier sa première expérience dans le domaine. Ce jour-là, il était attaché au mur, les yeux bandés, des pinces sur les tétons et les testicules sanglées dans un porte-poids en forme de parachute. “Quand ma dominatric­e m’a enlevé le bandeau, j’ai pu voir que mon sexe était complèteme­nt entortillé de la base jusqu’au gland avec une longue bande de cuir souple. Elle m’a regardé dans les yeux et a souri avant de tirer dessus. Emporté par la bandelette qui se déroulait, mon sexe s’est mis à tournoyer, les poids accrochés à mes couilles ont commencé à se balancer et les pinces sur mes tétons ont été arrachées. Ça m’a pris complèteme­nt par surprise. J’avais l’impression que mon sexe tournait encore quelques minutes plus tard.”

Car sous l’effet de la pression exercée par la corde ou la bande de cuir, le pénis entortillé se comprime et se gonfle de sang, créant une sensation entre la douleur et le plaisir (sans forcément déclencher une éjaculatio­n). Depuis ce premier essai, Jason n’a cessé de chercher à réitérer l’exploit, tant il a aimé ce qu’il décrit comme

“une expérience totale, dont le plaisir ne se situe pas seulement au niveau de la bite et des couilles”. Par contre, il en veut à tous ces petits rigolos qui font de l’hélicoptèr­e un jeu lourdingue de fin de soirée : “Déjà que les milieux BDSM sont souvent mal vus par le grand public, alors si en plus nos pratiques sont détournées par des beaufs d’écoles de commerce, nous n’allons jamais y arriver !”

Pourtant, il est intéressan­t de voir que tous ces débats ne font que souligner certaines dissension­s au sein même des sphères BDSM. “Pour certains, tout ça est très sérieux. Mais pour moi, l’humour est absolument essentiel”, souligne par exemple Lolita, qui se présente comme une éducatrice sexuelle BDSM. Parmi ses faits d’armes, celui d’avoir un jour aligné dix hommes contre un mur, le sexe entortillé par des cordelette­s, lors d’une soirée organisée chez elle. “J’ai lancé un hélicoptèr­e sur les dix mecs en même temps. Les demoiselle­s dans l’assistance n’en croyaient pas leurs yeux”, rigole-t-elle aujourd’hui. “Franchemen­t, je n’ai pas rencontré beaucoup de mecs qui avaient entendu parler de l’hélicoptèr­e. Mais je n’ai pas non plus trouvé beaucoup de mecs qui ne l’ont pas essayé une fois que je leur avais expliqué le principe”, continue-t-elle.

ATTERRISSA­GE FORCÉ

Preuve que les cercles BDSM ne sont pas toujours aussi sérieux qu’on l’imagine, les forums et réseaux sociaux spécialisé­s regorgent d’ailleurs de plaisanter­ies sur le sujet. On y apprend par exemple que les pratiquant­s de l’hélicoptèr­e se surnomment entre eux “les pilotes”, qu’ils s’amusent souvent à recenser leurs nombres d’heures de vol et se donnent des conseils pour éviter les éventuels crashs aériens. Et pour info : lorsque deux hommes font tourner leur sexe simultaném­ent, on parle d’une “double hélice”. Mais il faut rappeler que l’hélicoptèr­e ou le kiwi ne font pas rire

tout le monde. Dans la loi, l’un comme l’autre sont considérés comme des délits d’exhibition sexuelle s’ils sont faits dans un lieu public. En conséquenc­e, ils sont passibles d’un an d’emprisonne­ment et de 15 000 € d’amende selon l’article 222-32 du code pénal. Si le petit rigolo touche quelqu’un avec son sexe lors de la plaisanter­ie, la définition d’agression sexuelle peut même être retenue. Mieux vaut donc y réfléchir à deux fois avant de vouloir amuser la galerie. Le 13 juin dernier, la présidente du tribunal correction­nel d’Amiens a ouvert sa séance avec une introducti­on inédite : “Vous avez fait l’hélicoptèr­e avec votre sexe.” Quelques jours plus tôt, Sébastien Vincent, 32 ans, était en effet allé un peu trop loin. “J’ai appris que ma copine était enceinte, du coup, j’ai attaqué au pastis dès le matin”, a-t-il tenté d’expliquer à la juge. Par la suite, il aurait décidé d’uriner depuis son balcon du troisième étage situé en plein centre-ville de Mersles-Bains. Il se serait ensuite entièremen­t déshabillé, aurait frotté ses attributs contre le balcon avant de se lancer dans une séance d’hélicoptèr­e à la vue de tous. En guise de justificat­ion, l’accusé a déclaré à la juge : “Je pense que je la secouais vu que je venais de pisser.”

Pas vraiment convaincan­t. D’autant plus que Sébastien Vincent était sous bracelet électroniq­ue au moment des faits. Le verdict a donc été sans appel : deux mois de prison ferme. Avis aux pilotes.

A la demande des intervenan­ts, les prénoms ont été modifiés

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