Les Inrockuptibles

Ces couples qui font du porno

Ils sont français, ont entre 20 et 30 ans et sont en couple. Nous aurions pu les rencontrer au détour d’une rue, mais c’est sur PornHub que nous découvrons leurs visages et leurs corps. Focus sur CES AMOUREUX QUI ONT CHOISI LE PORNO.

- TEXTE Clément Arbrun

LEO ET LULU, LUNA ET JAMES, LOUISE ET MARTIN. ON S’AMUSE D’ABORD DE LEURS NOMS TRÈS NOUVELLE VAGUE. Puis on découvre leur activité : le porno. Qu’ils en vivent ou non, nombreux sont les couples à partager leurs ébats sur PornHub. On les retrouve dans la catégorie “Amateur certifié”, réunissant les non-pros aux comptes validés par la plateforme de vidéos. Pas de fake, l’amour est réel. Faire des “porno tubes” un journal (très) intime accessible à des milliers d’utilisateu­rs n’est pas une idée si folle, et ils nous disent pourquoi.

DRÔLES DE COUPLES

Un homme et une femme. Pas de chabadabad­a mais des ébats, captés dans le cadre restreint d’une salle de bains. Fesses bien galbées – les bénéfices du fitness –, fellation et corps retourné contre le lavabo : pas de doute, c’est du porno. Mais il y a plus à dire sur cette vidéo aux trois millions de vues, intitulée “Copine sexy se fait baiser dans la salle de bains”. “Nous avons respective­ment 21 et 25 ans et cela fait cinq ans que nous sommes ensemble”, précisent ses acteurs, Leo (la fille) et Lulu (le garçon). D’ailleurs, ils ne sont pas acteurs mais amants. Arrivés sur PornHub au printemps 2017 après un passage par les sites de cams, ils atteignent le million de vues en août – sur le tube, mille vues rapportent soixante centimes de dollars. Depuis, la plupart de leurs vidéos sont “featured” : l’algorithme PornHub les propulse en page d’accueil. “On a toujours eu une sexualité très développée et on aime jouer avec notre image”, racontent-ils pour expliquer leur arrivée sur ce site où quelques rebonds les séparent de stars comme Riley Reid. Leur X artisanal est fait d’intérieurs blancs, de lits aux draps défaits, des rues de Paris où Leo se désape. Leur succès est exemplaire. Mais ils ne sont pas seuls à oser le porno de couple.

Trois mois ont suffi aux vingtenair­es Louise et Martin pour atteindre les dix millions de vues sur Pornhub. Leurs production­s sont léchées et leurs corps athlétique­s baignés d’une lumière naturelle. Baise en public, lingerie sexy, “levrette du dimanche” et amour à la plage façonnent leur monde. Cadres pour des gros groupes dans la “vraie vie”, les autodidact­es ne tournent que les week-ends mais génèrent une petite somme – entre trois et quatre mille dollars par mois. Le porno, ils sont tombés dedans à force “de se partager des photos un peu coquines, faire des vidéos intimes qu’on gardait pour nous”. Ça leur plaît d’être aujourd’hui l’obsession d’inconnus derrière leurs écrans. “Le porn pimente notre quotidien. C’est un projet qu’on mène à deux, une chose qu’on parvient enfin à réellement partager”, racontent-ils. Cela fait plus d’un an qu’ils partagent café et tartines le matin.

C’est aussi de cette manie de la sex tape dont sont épris les amoureux de PépiteCrap­ule. Appelons le garçon Crapule (cheveux bruns et longs rejoints en chignon, légère barbe) et la fille, Pépite (cheveux bruns et courts, lingerie noire). Le X est pour ces trentenair­es la synthèse d’instants passés à se filmer par pur plaisir personnel. Après trois ans de vie commune est venue l’envie d’exciter le regard d’autrui. “On a toujours été portés sur l’exhib. Nos boulots sont très prenants, donc on n’est pas là pour l’argent mais pour se faire plaisir. Le porno, c’est du kiff pur”, me détaille Crapule. Passés par le site Cam4, où ils se sentent trop à l’étroit, ils s’épanouisse­nt finalement sur PornHub. Suivis par près de 2 500 personnes en l’espace de cinq mois, ils s’assurent désormais une belle dizaine de milliers de vues pour chacune de leurs vidéos.

Leurs boîtes mail regorgent de retours positifs. De propositio­ns d’échangisme aussi. Pour tout gérer, ces couples bricolent leur propre plan com.

Leo et Lulu promeuvent leurs contenus de Twitter à ManyVids (une plateforme indépendan­te de vente de vidéos) jusqu’à Instagram, entre photos “safe for work” et clichés crus adressés à leur “commu”. Mais il ne suffit pas de s’improviser community manager. “Pour faire du porno, il faut être suffisamme­nt épanoui dans sa vie de couple”, explique Pépite. Exposer sa plastique – en HD s’il vous plaît – permet de tester la solidité d’une relation.

“LA SOLIDITÉ DU COUPLE, C’EST LA BASE”

Il n’y a qu’à voir le duo LinooAmors, “pornhubeur­s” depuis juin 2016. Elle, le regard gourmand, joue à la milf et à l’étudiante. Lui ne montre pas son visage, ses gémissemen­ts résonnent hors champ. Ils ont attendu que leur couple dure avant de tenter PornHub, qu’ils perçoivent en YouTube du X. “Comme pour le libertinag­e, la base c’est la solidité conjugale, la confiance, car il y a 90 % de chances que famille ou amis tombent dessus”, affirment-ils. Outil d’une génération décomplexé­e, le X leur permet de se montrer, bander, se projeter, se booster aussi. “On a commencé par faire l’amour devant la caméra pour partager notre vie sexuelle. Un an plus tard, celle-ci a évolué pour se distinguer de notre vie sexuelle ‘pro’. Les deux se nourrissen­t mutuelleme­nt”, racontent Leo et Lulu. Ils l’avouent, “faire des vidéos permet de discuter des fantasmes et d’essayer des choses que nous n’aurions probableme­nt pas testées”.

Les dilettante­s de Beauté Faciale sont arrivées sur PornHub en novembre 2017. Après un mois de couple, ils se filment, s’acoquinent en montagne, dans un train de nuit, dans une crique. Avertissem­ents aux branleurs impatients, leurs sex tapes sont parcourues d’effets visuels et de ruptures de rythme, “inbranlabl­es” dixit le binôme. “Quand on fait l’amour devant la caméra, on fait l’amour pour la caméra. Ce n’est pas le même sexe ! Nos ‘pendants porno’ sont plus dans la sensualité, la confiance et la maîtrise… mais ils ne sont pas si éloignés de nous”, m’explique la “beauté” qui dans ces vidéos apparaît masquée. “Savoir que des millions de personnes t’ont vu à poil dédramatis­e le rapport au corps et à la nudité, permet de parler de sexe naturellem­ent, de nos limites. Quand un sujet n’est pas tabou dans un couple, ça facilite la communicat­ion”,

souffle-t-elle. Ces parenthèse­s sexy valent toutes les séances chez le psy.

Mais si la réalité du couple est captée, elle est aussi recadrée, façon Instagram. Beauté Faciale scénarise toutes les vidéos sur Google Drive. Shootée avec une seule caméra, chaque scène est refaite jusqu’à obtenir tous les angles. Des heures de tournage, de montage, d’étalonnage s’ensuivent. Ce n’est pas la pulsion sexuelle mais “l’impulsion de créativité” qui dicte l’acte. “Nos vidéos sont scriptées, mais la jouissance, jamais. Même dans un cadre resserré, il arrive qu’on perde le contrôle et qu’on se laisse emporter”, nuance l’amatrice. C’est écrit mais qu’importe, puisque c’est vrai. Ainsi, si Louise et Martin scriptent leur sexe, ils précisent : “Ce qu’il reste d’authentiqu­e, c’est le plaisir. On ne feint pas les orgasmes.”

Il faut dire que l’authentici­té est le tag parfait de ces anonymes. Luna et James, 50 ans à eux deux, l’incarnent. Sa silhouette affinée à elle et son physique de poetic lover à lui en font le plus “jeune et joli” des couples. On les a découverts sur Lustery, site de porno éthique proposant des scènes de sexe entre vrais concubins, avant de les suivre de la plateforme de vente de vidéos en ligne ManyVids à leur chaîne PornHub

– excédant les trois millions de vues. Avec The Sex Diaries, leur série de vlogs en Thaïlande, ils s’inspirent des vidéos de voyages qui buzzent sur YouTube et y intègrent leurs galipettes. Les visites touristiqu­es précèdent le cunnilingu­s dans ces films naturalist­es. “Le porno galvanise. Notre vie sexuelle a été démultipli­ée. Faire l’amour pour notre public est un moment pur, vrai et intime. On essaie de reconnecte­r le sexe à la réalité et aux individus qui sont derrière l’écran, être autre chose que des corps et des organes en exprimant l’essence de notre sexe (les sentiments, les émotions, la complicité)”, détaillent-ils.

MANIFESTE DU PORNO VÉRITÉ

Observer ces couples, c’est toujours les scruter par le trou de la serrure. Derrière la porte, “tu poses ta caméra, tes gestes sont précis, puis peu à peu c’est comme si elle n’était plus là”, explique Crapule. Aucun acting, mais du porno-vérité. Une révolution pour les tourtereau­x de LinooAmors, érigeant en “nouveau porno” ces scènes de la vie conjugale qui, “loin de Marc Dorcel, rappellent plus Jacquie et Michel : ceux qui baisent pourraient être tes voisins”. Créations originales face à l’industrie, ces vidéos transgress­ent

“On a toujours été portés sur l’exhib. Nos boulots sont très prenants, donc on n’est pas là pour l’argent mais pour se faire plaisir. Le porno, c’est du kiff pur”

CRAPULE, AMOUREUX DE PÉPITE

les codes. Exit les “tags”, ces mots-clés parfois insultants qui régissent les tubes. Beauté Faciale rétorque par “des jeux de mots à la con” et Pépite par des titres romantique­s (“Une frange, trois framboises et deux orgasmes”).

D’ailleurs, aucune raison d’inclure du “salope” pour vendre. “Jamais mon mec ne me parlerait comme ça. On n’est pas des sauvages !”, rit-elle. Alors que Luna et James refusent de “proposer une performanc­e” et servent à bout de souffle “une promotion des corps non parfaits”, Leo et Lulu fantasment la fin des “scènes de sexe réglées comme des partitions” qui régulent le mainstream. Ils se filment pour exhiber “la réelle diversité dans la façon dont deux êtres humains s’aiment”. Si elle renverse de son côté le “schéma teasing-baise-éjaculatio­n”, la sirène de Beauté Faciale désire elle aussi “prouver que le porno est un monde de ventres et de poils, de gens très différents qui divergent des canons de beauté générés par la société”.

“Ce porno correspond à nos vies”, assure Pépite. Trop, peut-être. Une photo d’elle en T-shirt publiée sur Twitter a aligné les likes “plus encore qu’un nude !”, ironise-t-elle. Cette fascinatio­n pour les “off” inquiète sa moitié, “l’idée que des mecs solitaires essaient de rentrer dans ta bulle”. Pour lui, “ce voyeurisme dépasse le sexe”. Luna et James abondent : “Les gens sont à la recherche d’une connexion qui va bien au-delà du besoin masturbato­ire et tient du sentiment d’appartenan­ce à une communauté.” Selon Beauté Faciale,

“le public s’intéresse d’abord aux personnes avant de s’attacher à leurs organes”, assertion sur laquelle glisse Lulu en évoquant “cette familiarit­é qui se crée et instaure une vraie relation”. Si ce sexe remet l’humain au coeur du X, celui-ci doit s’en préserver, “avoir conscience que cela reste sur internet toute la vie, montrer ce que l’on a envie de voir pour faire évoluer le porno à notre petite échelle”, achève Beauté Faciale. Mais au diable l’angoisse, Luna et James caressent l’utopie. Ils voient en cet amateurism­e “l’avenir” du genre. Double vie, le porno de couples a tout d’une nouvelle chair.

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Luna et James : “Le porno galvanise. Notre vie sexuelle a été démultipli­ée”
 ??  ?? Pépite et Crapule : “Pour faire du porno, il faut être suffisamme­nt épanoui dans sa vie de couple”
Pépite et Crapule : “Pour faire du porno, il faut être suffisamme­nt épanoui dans sa vie de couple”

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